Les deux frères avaient déjà mangé leurs sœurs, finissaient leur petite amie et ils se sentaient bien. Les sœurs dégustées l’une après l’autre, une seule petite amie avait jusqu’ici suffi pour les deux et ils se la partageaient, comme c’est souvent le cas, ou pour mieux dire l’honoraient tour à tour et la mangeaient ensemble. Ils quittèrent la table, laissant dans le plat de bas morceaux et dédaigneux de saucer leur assiette. Ils auraient bien accommodé aussi leurs parents, mais leurs trépas successifs avaient précédé de quelques années la découverte de leur goût ou plutôt l’aveu qu’ils s’en firent.

Tout le monde ne « lève » pas son gibier avec le même succès. Bien qu’ils fussent deux, bien qu’ils fussent passés maîtres dans l’art du faux-semblant, (qui pour l’occasion consistait à feindre de laisser à l’un ce que l’autre désirait pour lui-même) complices et interchangeables, là comme ailleurs, les occasions se faisaient rares. Quelque chose dans leur regard, dans leur attitude, une impatience inhabituelle devait transparaître qui éveillait le soupçon au lieu de l’émoi attendu. L’élue s’éloignait avant qu’ils aient eu le temps de la circonvenir. Casaniers par nature, ils se forçaient à sortir comme ces convalescents à qui on a prescrit la marche ou la natation. Ils hantaient sans conviction les soirées, les allées du Bois, les plaicetoubie. Sans succès. On les voyait parfois, dans le soleil d’une fin d’après-midi faire le tour du quartier bras dessus, bras dessous, ou arrêtés debout, côte à côte sur la même marche du perron, scrutant la rue déserte et pensifs comme une double statue de l’occasion manquée.