Préface de la réédition du roman de Marie-Thérèse Bodart, Le Mont des oliviers.

Fiche

Année
2023
Édition
Samsa

Extrait

Curieusement, lorsqu’on évoque Marie-Thérèse Bodart, on passe volontiers sous silence son troisième roman Le Mont des Oliviers, en résumant l’intrigue à une question de vocation religieuse. N’est-ce pas méconnaître son œuvre et sa vie ? N’est-ce pas oublier qu’elle avait entamé sa carrière littéraire en interrogeant le bien, le mal, l’amour, la pureté, le péché, l’adultère, et qu’en 1938, c’était, l’on peut s’en douter, extrêmement dangereux.  Les Roseaux noirs fit scandale. La bien-pensance s’insurgea contre la jeune femme de vingt-neuf ans. Comme on l’avait fait un peu moins d’un siècle plus tôt au Flaubert de Madame Bovary, on lui fit grief de ses propos « monstrueux », ajoutant ici l’inceste à l’adultère. Elle fut renvoyée de l’école où elle enseignait l’histoire, à Verviers. Elle fuit sa ville et l’esclandre. Mais la romancière fut remarquée ; elle se retrouva parmi les finalistes du Prix Femina.  « Elle a écrit des choses que, proprement, elle ne savait pas. Et ces choses sont vraies. Magie du romancier. », écrivait Charles Plisnier dans sa préface des Roseaux noirs.

C’est à Bruxelles qu’elle va poursuivre vie et écriture, aux côtés de son mari, le poète Roger Bodart. Quatre romans suivront ainsi que plusieurs essais et trois pièces de théâtre. Ainsi Le Mont des Oliviers paraît en 1956 aux Éditions de Navarre, à Paris. Six ans plus tard, il sera traduit en italien. Aujourd’hui il est réédité grâce à la volonté de faire redécouvrir le patrimoine belge qui anime Christian Lutz et sa maison d’édition Samsa.

L’acte même de créer lui étant nécessaire, vital, l’écriture de Marie-Thérèse Bodart est et reste percutante. Originale, sans concession ni fioriture, ponctuée d’images fortes (« l’ortie du doute me brûla désormais tous les jours » ou « nous étions toutes deux livrées vivantes à quelque minotaure »), elle est libre et personnelle dans son usage étonnant de la virgule, qui semble davantage épouser les tâtonnements de l’écrivain que guider le lecteur (« des vieilles, reviennent du cimetière en jacassant »). 

Alors, si le texte est puissant, pourquoi Le Mont des Oliviers est-il le dernier des cinq romans à être réédité ? A cause de son sujet ? Parler d’une religieuse en littérature serait-il aussi dangereux que d’évoquer l’inceste ? On observe que peu d’auteurs s’y risquent. Ne se sentiraient-ils pas obligés de prendre parti et de mettre le lecteur devant un « choix » hors de saison. Le sens de cette préface est donc de passer outre ces a priori et de recommander la lecture d’un roman rare sur un sujet rare.

 

Quel sujet ? La religion ou la religieuse ? Ce sont deux choses différentes et deux démarches littéraires distinctes. Dans la première, la foi est centrale ; dans la seconde, le personnage. La religieuse. Celle de Diderot et toutes les autres. Une femme. Elle sacrifie sa vie, qu’on l’y oblige, qu’elle s’y oblige ou le choisisse de son plein gré. Il y a sans doute autant de raisons de prendre le voile qu’il y a de femmes qui le prennent. Celle qui le fait par conviction, par vocation (l’appel, la « petite voix ») intéressera probablement peu l’écrivain. Mais celle qui, fragile, hésite, doute, cache peut-être des choses – un passé trouble, un amour déçu, une faute, la sienne ou celle d’un proche – l’intriguera. D’autant plus qu’ici, Marie-Thérèse Bodart interroge son propre vécu puisque sa jeune demi-sœur, Marcelle Guillaume, romaniste, est entrée au couvent.  Pourtant, prévient la romancière, « aucun de ces personnages-ci n’est réel et tous le sont ».