Une soeur

Qu'est-il arrivé à la belle Agnès, la rebelle, l'amoureuse, pour que le jour de ses vingt ans, elle décide de rentrer au couvent ? Pour qu'elle en meure à moitié folle, bavant du chocolat ? Sa nièce enquête, fouille les non-dits et déterre le secrets de famille.

Fiche

Année
2021

Extrait

Craignant qu’elle me voie en petite culotte, j’étais déjà passée par la salle de bain. Elle, non. Elle m’a demandé d’éteindre. Dans l’obscurité argentée, la lune dessinait sa silhouette. Je l’observais qui soulevait son voile, le rabattait en avant pour atteindre les épingles qui le faisaient tenir, les détachait, dénouait le bandeau sur son front et enlevait le voile ainsi que l’espèce de cagoule blanche qui était en dessous. Ça n’a duré que quelques secondes. Elle n’avait eu besoin ni de lumière ni de miroir. Ses cheveux lui sont tombés sur les épaules, aussi longs que les miens. C’est mal, a-t-elle dit. Elle aurait dû les couper tout court. Les hommes prétendent que Dieu exige un tel sacrifice. Elle n’était pas sûre que Dieu veuille ça. Il ne lui avait demandé qu’une seule chose. Elle a rallumé pour me montrer son alliance, sans me parler de la petite voix. Toutes les sœurs n’étaient donc pas mes ennemies. Et je gagnais un oncle « par alliance ». Un oncle comme n’en auraient jamais mes copines de classe.
J’avais envie de voir sa chevelure sous mes doigts. Elle a fouillé dans sa trousse et en a retiré le peigne de corne. Elle l’avait gardé comme ses cheveux dont la lumière découvrait la couleur fauve. Se peigner, c’était bien plus que s’arranger pour la nuit. C’était une cérémonie. Je lui ai demandé son âge. Elle a fait la coquette. Je n’avais qu’à compter, elle était née dix ans après mon père. Quarante moins dix. Quatre fois mon âge. C’est mon père qui lui avait appris à chanter. Et elle chantait encore tous les jours. Moi aussi je chante ; je chante pour être gaie. « Non, Claire, tu chantes parce que tu es gaie. » Pour la réconforter, je lui ai dit qu’elle avait de la chance d’être née dans une famille nombreuse, que j’aurais bien voulu, moi. Elle a élevé la voix. Sa mère est morte en la mettant au monde. Sans réfléchir, j’ai pris le peigne et je l’ai coiffée, tout doucement ; elle se laissait faire. J’ai voulu savoir qui la peignait quand elle était petite. Son père. Et aussi Adèle, sa grande sœur. Morte elle aussi. Elle lui faisait des tresses - la mode était aux tresses - mais ça ne lui plaisait pas. Elle se décoiffait aussitôt et s’ébouriffait. Je faisais pareil. Alors nous avons ri. Une complicité allait naître entre nous, liée à nos longs cheveux. Ce serait notre secret. Ma vilaine institutrice, sous son voile, les avait sûrement ras.