The Book around the corner - enquête sur le snobisme ordinaire

Les boites à livre sont des espaces de chocs, où se rencontrent l’enfer, les pavés et les bonnes intentions. Enquête à vélo à travers les communes de Bruxelles.

Fiche

Année
2020

Extrait

Mai 2020. Le monde est confiné. C’est le nouveau mot à la mode. L’année dernière, des modules de bois ont été construit au coin de ma rue pour créer un semblant de convivialité dans un espace urbain jusqu’alors principalement occupé par des poubelles. Ces modules accueillent de temps en temps des familles de la rue. Plus régulièrement, y échouent d’assez tristes personnages, regards hagards et mauvaises mines. Depuis un mois, cet espace est « condamné » par des rubans de la police. La tentative est relativement vaine mais le message est clair : se réunir n’est plus d’actualité. Ne pas stationner. Circulez. Pourtant, 50 m plus loin, des épaves humaines noyées dans la mauvaise bière et la fumée de tabac continuent de hanter par petit groupe la place de la Reine. Les bars interlopes sont fermés mais la fine fleur de la faune locale demeure.
(...)
En ce jour de confinement donc, je passe devant la boite à livres qui n’en est pas une et je la découvre toute embobinée de ruban police. La boite à livre, comme une scène de crime. Mais quelle scène ? Qu’est-ce qui lui vaut ce statut ? J’en touche deux mots autour de moi au détour de conversations virtuelles. C’est du crime en série. Toutes les boites à livre de la ville ont été sauvagement condamnées. Comme les coins de rue aménagé, comme les bancs, comme les lieux de rencontre ou de réunion, là où les choses, les mots, les objets – et surement les virus –, circulent. Alors ça m’est apparu : les boites à livre sont indirectement des lieux de réunion de livres qui, pour une raison ou une autre, se sont fait expulsés de chez eux. Et si chaque fois que je passe au coin ouest de ma rue je vois un peu de ce qui vit dans mon quartier, je me dis que je ferais bien de me pencher un peu sur ces livres gratuits qui, presque au coin de ma rue, menacent la santé publique. Peut-être que j’en apprendrais plus sur mes mes voisin·es en fouillant dans les reflux de leurs bibliothèques, que je comprendrais au passage pourquoi moi qui prône un accès universel à la lecture, je snobe tellement les boites à livre. Et que se passerait-il si j’allais un peu plus loin, à la boite à livres suivante, et que de livre abandonné en livre-offrande-à-la-communauté, j’allais à la rencontre de ces mots que l’on condamne ?