Cauchemar
Cette nuit j'ai fait un rêve affreux : je vivais de ma plume. Par une combinaison de l'un de ces engouements absurdes du public et d'une campagne de marketing habilement menée, mes derniers livres avaient fait un tabac, et j'avais décidé de quitter mon emploi pour m'adonner exclusivement à l'Art.
Simultanément transmuée par l'alchimie du rêve, ma gentille éditrice s'était transformée en gros monsieur à moustache qui me versait chaque mois avec une tape sur l'épaule les royaux dividendes de mon imagination. Comme on s'habitue au luxe et que l'appartement, par une regrettable lacune du rêve, n'était pas encore payé, je complétais ces nobles rentrées avec quelques travaux alimentaires, ateliers d'écriture, chroniques littéraires….
Lorsqu'on me demandait, dans les soirées, quel était mon métier, au lieu de bafouiller, je répondais avec assurance : 'Auteur, Madame,' ou 'Ecrivain' (je n'ai jamais aimé le féminin).
Car écrire était devenu mon état, ma profession, mon gagne-pain. Celui avec lequel on remplit le frigo, on fait le plein et on paye l'école des gamins.
Adieu, méditative attente du bus de sept heures cinquante-sept, notes prises à la volée, pauses de midi enfiévrées de littérature et heures nocturnes offertes à l'écriture comme à un amant clandestin : je me levais à l'heure qui me plaisait, dans l'unique but de taquiner officiellement la Muse qui me rétribuait.
Et lorsque, vers onze heures du matin, je m'installais enfin à mon bureau en quête d'inspiration pour mon prochain livre, j'avais du temps.
Tout mon temps.
Enormément de temps.
Un temps infini, et pour tout dire….vertigineux !
Je ne connais pas la suite car à ce point je me suis réveillée, haletante, le front en sueur et le cœur battant.