L'enfer des dédicaces
Le commun des mortels profite de son weekend. Il fait du shopping, passe du bon temps en famille, organise de grandes ballades dans les bois, va à la messe, fait les brocantes… ou encore des exercices physiques que la décence m'impose de tenir secrets. Mais tel n'est pas le sort de l'écrivain. Pour se divertir le samedi et le dimanche, celui-ci compte sur une distraction incomparable : les salons du livre.
Des salons, il y en a partout et pour tous les goûts : le salon du livre de marine, le salon du polar, le salon du livre sous les peupliers, le salon du livre des lecteurs qui n'aiment pas les livres… Jeune auteur, je ne manquais aucun d'entre eux. Et je pense avoir tout vécu. Le salon où l'organisateur oublie de venir vous chercher à la gare. À vous de retrouver la salle polyvalente de l'autre côté de la ville sous une pluie battante. Le salon où l'on n'a pas commandé vos livres et où l'on vous propose de rester sagement assis devant une table vide en regardant signer les autres. La séance de dédicaces où l'on vous place à côté d'un illustre inconnu qui vient de publier son dernier livre chez un éditeur tout aussi obscur. Vous jetez un coup d'œil sur la couverture : « Trésors de la Vannerie dans le Dijonnais » publié aux éditions du Hibou Hurleur. Vous saluez votre confrère avec un soupçon - involontaire - de compassion. Le pauvre… Il n'aura jamais droit aux honneurs des grands éditeurs nationaux. Mais dès que le salon ouvre ses portes, une harde de curieux se dirige vers votre voisin. Ils l'assaillent de question à propos de sa famille ou des récentes querelles de voisinage dans le patelin. Rapidement, la queue devant sa table s'étire, au point de vous dissimuler totalement de la vue des rares badauds qui auraient pu être intéressés par votre bouquin. Vous êtes victime de ce que l'on appelle le syndrome du régional de l'étape. C'est presque aussi grave que de se retrouver à côté de la dernière présentatrice de la météo à la mode dédicaçant ses mémoires (à 23 ans !)… le glamour en moins.
Autre exemple. Récemment, j'ai longuement conversé avec un visiteur qui voulait tout savoir de mon dernier roman. Comment était née l'idée de départ ? Quelles étaient mes sources ? Comment je créais les personnages ? Il avait vraiment l'air intéressé. Trop heureux du tour que prenait la conversation, je chauffais déjà mon stylo dans l'espoir de lui signer un exemplaire quand, dans un profond soupir, il a reposé le livre sur la pile en en disant : « Votre livre a vraiment l'air passionnant. Ah… si seulement j'avais le temps de lire ! ».
Les salons du livre ? Une belle leçon d'humilité !