On vous aura prévenus
Le premier livre que j'ai publié m'a fâchée avec ma mère : six mois sans un mot, absolu silence radio, dîner de Noël glacial et gâché. J'avais pourtant tenté de la prévenir : « tu sais maman c'est de la fiction, une métaphore, de la littérature ! ».
Le deuxième m'a durablement brouillée avec un amant qui s'y est reconnu alors que ce n'était même pas lui. Mon ex-mari, par contre, que je m'étais amusée à étriller au passage, n'a rien vu et s'est réjoui du (modeste) succès de l'ouvrage, qu'il s'est empressé de distribuer à la ronde.
Pour le troisième, mon compagnon va en baver - et regretter, sans doute, ses confidences sur l'oreiller.
Dans le quatrième, ma meilleure amie ne le sait pas encore mais elle va crever bientôt, d'une overdose solitaire, affublée d'un prénom ridicule et de cinquante kilos supplémentaires.
À mes enfants, j'ai déconseillé la lecture de mes livres (pas le moment mes chéris… un peu compliqué… quand vous serez plus grands…), espérant leur offrir, pour quelques temps encore, l'image d'une maman qui épluche les légumes et signe les bulletins plutôt que celle d'une Médée pornographe.
Sur le ton de la plaisanterie, j'ai averti mon entourage : vous savez ce qu'on dit, un écrivain, c'est un vampire, etc etc. On est là ensemble, tranquillement, mais moi sournoisement, les crocs dans votre jugulaire, je vous pompe l'air et le sang. Et d'ailleurs vous aussi, passagers du « 38 Héros », collègues de bureau, amis, parents, ombres dans les rues et inconnus du journal, tous, on vous aura prévenus : si vous entrez dans mon périmètre, c'est à vos risques et périls. Vous n'avez pas fait gaffe ? Tant pis pour vous. Ici c'est propriété privée, barbelés, chien méchant.
Au sein de mon royaume de plume, je dézingue, je balance, je baise, je tue. C'est moi la reine et il n'y a pas de flics. Si j'ai envie de me promener nue, de mettre une perruque blonde ou un nez rouge, je ne vais pas me gêner.
J'ai beaucoup réfléchi sur ce que je devais aux miens en matière de discrétion, de retenue, de contrôle.
Et j'ai fini par conclure : rien.