Avec la crise sanitaire, les appels à créer une société qui réhabilite le soin et le souci de l'autre se multiplient. Dans la foulée, la mise en évidence des secteurs qui favorisent la proximité et qui encouragent la solidarité se fait plus régulière. Parmi ces secteurs, il y a celui du théâtre. En apportant de la beauté, du réconfort et de la joie, en créant du lien, en questionnant en permanence les choses, en explorant les frontières et en faisant entrevoir la possibilité d’un monde meilleur, il participe à la bonne santé physique, mentale et sociale des gens. Concrètement, que faut-il entendre par « éthique du care » ? Comment ce concept est-il plus que jamais d'actualité dans le domaine théâtral ?
Venez prendre une cure de bien-être avec Bela, on vous emmène à la rencontre de directeurs et directrices de théâtre belge qui, à l’occasion de leur récente nomination, proposent un programme dont le cœur du propos est de « prendre soin » des artistes et du public. Pour inaugurer cette série : Coline Struyf, nommée directrice du Théâtre Varia en juillet 2021 pour un mandat de 5 ans.
Depuis son arrivée à la direction du Varia, en juillet 2021, elle a une intention inébranlable : réparer les liens qui ont été fragilisés ces derniers mois. À commencer par les liens avec les spectateur.rices, abîmés par plus d’un an de fermeture des lieux de culture et de création. Belle coïncidence : c’est son dernier spectacle, Dans la nuit - Éloge de la vulnérabilité, que le public a pu découvrir, à l’ouverture de la nouvelle saison du Varia.
Avec cette nouvelle mise en scène, programmée bien avant sa nomination en tant que directrice, Coline Struyf nous invite à tendre l’oreille aux soubresauts d’un monde arrivé à son point de bascule. Elle ausculte les ressorts d’une insurrection tout autant intime que sociale, et signe une tragédie contemporaine, qui s’enflamme et s’enfuit, comme un météore au crépuscule. Dans ce spectacle, Coline Struyf nous livre son inquiétude. Pourtant, chez cette intranquille, se niche aussi un espoir intact, une foi en la capacité du théâtre à transformer nos existences. Une conviction tenace qui l’a conduite, à 38 ans, à imaginer un projet ambitieux pour son mandat au Théâtre Varia : « prendre soin des vivant.es avec les arts vivants ».
« Prendre soin », l’intérêt de Coline pour les théories du care ne date pas d’hier. Au fil de son parcours, en tant qu’artiste et professeure à l’INSAS, elle s’en est forgée une approche très concrète. « Avant de devenir une éthique globale, dit-elle, ça se joue à des endroits microscopiques. Dans la capacité de chacun.e à observer son environnement, à être à l’écoute des frictions entre nos ambitions et la réalité. » Une attention à l’autre indissociable de l’exigence et de la responsabilité individuelle qu’elle souhaite renforcer, d’abord, au sein de l’équipe qui l’entoure au Varia. Bien au-delà du cliché féminin auquel Coline estime que le care est trop souvent réduit, elle affirme : « En tant que directrice, je ne suis pas là pour substituer le maternalisme au paternalisme ! » À la verticalité infantilisante, elle préfère l’horizontalité du dialogue, et mise sur une intelligence du collectif, capable de prendre en considération les problématiques de chacun.e.
Ce besoin de confiance, à tous les échelons relationnels qui existent au sein d’un théâtre, va de pair avec une autre nécessité : celle de prendre le temps. Pour Coline, les notions de durabilité, de viabilité d’un projet, sont au cœur de la philosophie du care. Elles invitent à repenser les tempos et les modes de production. Au Varia, elle souhaite créer des liens de confiance pérennes avec les artistes. Être à l’écoute de leurs besoins, et s’engager auprès d’elles et eux à plus long terme, quitte à inventer de nouvelles modalités de compagnonnage. « Cela ne signifie pas que nous programmerons moins de spectacles, mais nous essayerons de prendre soin des créateur.rices en leur offrant les moyens et le temps nécessaires pour laisser mûrir leurs projets. » Coline assume sa volonté de sortir de la logique du produit fini, pour tracer de nouveaux chemins de création. Imaginer d’autres rendez-vous, des points de rencontre et de partage du processus artistique. « Faire moins vite, pour faire mieux. Surtout dans la période actuelle, face à laquelle notre volonté de rattraper le temps perdu nous fait courir le risque de la précipitation. »
Prendre soin de l’autre, c’est aussi l’aider à forger les moyens de son émancipation, à travers les histoires qu’on lui raconte. À ce titre, Coline Struyf entend assumer pleinement la mission de service public qui lui incombe : « Les théâtres sont des territoires où l’expérience intime rencontre l’expérience citoyenne. En puisant dans l’imaginaire, nous sommes capables de tracer de nouveaux horizons communs. » Viscéralement attachée à la fiction, Coline lui laissera la part belle dans la future programmation du Varia. Une façon de permettre à chacun.e de se réapproprier ses rêves, en se faisant l’écho de la complexité du monde. Elle le répète et insiste : « Le monde dans lequel nous vivons nous abreuve constamment d’histoires. Publicité, politique : le storytelling est partout et il s’impose à nous. Bien souvent, nous n’y croyons plus. Mais paradoxalement, notre soif de nouveaux récits collectifs est immense. Je crois que le théâtre a le pouvoir d’en inventer, car il offre à chacun.e la possibilité de prendre une part active, directe, au processus d’élaboration des histoires. »
Convaincue que la scène est le lieu de la co-construction des récits qui nous peuplent, Coline l’envisage comme un terrain démocratique. Un espace de participation. Un territoire précieux de liberté. « Au théâtre, les fictions agissent sur nous, bien sûr, mais nous pouvons aussi agir sur elles. À travers elles, nous avons la capacité de nous rassembler pour prendre soin du présent que nous partageons. »