Qu'elle collabore avec la revue belge Philéas & Autobule, organise des ateliers pour enfants ou crée des albums jeunesse qui questionnent des sujets de société, Myriam Dahman met un point d'honneur à placer le dialogue avec les jeunes lecteurs et lectrices au cœur de ses activités et choix artistiques. Crise sanitaire oblige, elle vient tout juste d'adapter ses interventions pédagogiques en visioconférence.
L'occasion pour la journaliste Alice Herman de la rencontrer afin de faire le point sur son parcours et ses ambitions didactiques.
Douce et pétillante, Myriam Dahman semble rayonner d’une énergie sans bornes. En 2020, son très beau livre Le Talisman du loup, co-écrit avec Nicolas Digard et illustré par la talentueuse artiste espagnole Júlia Sardà, s’est fait remarquer à juste titre. « Au départ, on a pourtant essuyé plusieurs refus des maisons d’édition françaises. C’est un album un peu particulier dans le paysage éditorial, ne serait-ce que par le style assez sombre de Júlia Sardà et les thématiques abordées, comme le deuil. Ça peut déplaire et dérouter, mais je trouvais important de ne pas s’interdire d’explorer cette dimension, de parler de choses plus dures. La forme du conte permet de caresser ces sujets plus difficiles, sans qu’ils soient pour autant l’objet principal du livre », explique l’autrice, qui met un point d’honneur à ne pas niveler ses textes vers le bas sous prétexte qu’ils s’adressent à un public d’enfants. « Je me souviens que nous avons eu beaucoup de discussions avec notre éditrice à propos de l’utilisation du mot "mélopée", qui lui semblait trop compliqué. Mais c’était le terme le plus juste, on l’a gardé. »
Philosopher et s’émanciper
Même combat pour son délicieux guide de reconversion pour les princesses qui s’ennuient, Tout pour devenir une sorcière. « Beaucoup d’éditeurs ont refusé le projet sous prétexte qu’il n’attirerait que les filles », raconte Myriam. Elle trouve finalement une maison d’édition engagée (Talents Hauts) et constate bien sûr l’absurdité de ces prétendus cloisonnements de genres. « Lors des rencontres avec les enfants, je me suis évidemment rendue compte que filles et garçons s’intéressaient autant au sujet ! La sorcière a ce petit quelque chose d’universel, un peu comme les super-héros… »
Contes mélancoliques, albums humoristiques et même philosophie, la jeune autrice refuse de s’enfermer dans un seul style. Et aborder les grandes questions philosophiques avec les enfants, c’est quelque chose qu’elle adore. Elle collabore régulièrement avec la revue belge Philéas & Autobule et a également écrit un livre sur cette discipline passionnante, Contes philosophiques racontés par mon chat, sorti en 2020. Pandémie oblige, les rencontres en classe pour en discuter n’ont pas pu avoir lieu, ce que regrette vraiment Myriam car « le but de ce livre, c’était vraiment de créer une base de dialogue, on l’a réfléchi et écrit dans cette optique-là. J’ai testé l’option visioconférence en distanciel et ça a plutôt bien marché, mais ça ne remplace pas le contact direct. »
Deux métiers pour plus de liberté
Née d’une maman belge et d’un papa marocain, Myriam Dahman a passé une enfance plutôt paisible et proche de la nature, au Maroc. Chez elle, à part quelques BD, on n’était pas spécialement porté sur la littérature. « Par contre, avec mon frère et nos amis, on dessinait et on racontait des histoires ensemble, tout le temps. L’imagination faisait partie intégrante de nos jeux d’enfants. » Aujourd’hui installée à Paris, elle travaille à temps partiel dans le domaine du développement et plus spécifiquement du climat. « Dès le début, c’était très clair pour moi. Si je ne pouvais pas vivre de ma plume et que je devais avoir un travail de bureau, il fallait que ce soit un boulot qui ait du sens. Ça m’enlève une pression financière pour mes projets d’écriture, ce qui me permet d’avoir une totale liberté artistique et de ne faire que des livres qui me plaisent », continue-t-elle.
Elle travaille actuellement sur deux projets en binôme avec l’illustrateur Clément Lefèvre. Sans trop en dire, elle évoque brièvement une magicienne, le mythe de Circé, un conte en milieu urbain et contemporain, une jeune héroïne nommée Ena… Un troisième livre se prépare, en lien avec sa deuxième casquette professionnelle celui-là. « Je me lance dans un ouvrage de vulgarisation scientifique autour du changement climatique. J’ai mis du temps, j’avais toujours l’impression qu’il y avait des experts plus experts que moi », avoue-t-elle. Accessible, illustré et aussi un peu rigolo, le livre s’attachera à déconstruire les idées reçues qui gravitent autour de la question climatique. « J’adore ce format-là, dans la veine de Mirion Malle pour le féminisme ou Marion Montaigne avec Tu mourras moins bête. L’important, je crois, c’est de rester logique et de ne pas tourner autour du pot », conclut-elle, ravie de ces nouvelles perspectives de transmission des savoirs et de partage d’histoires.