3- Pointes
Il n'est pas rare que l'on nous demande, à nous les écrivains, quel est notre outil de travail. Pour ma part, j'ai souvent envie de répondre que j'écris avec les pieds…
3- Pointes
Se servir de ses pieds peut demander un apprentissage sévère. Se servir des mots aussi. Au début, enfiler ses chaussons de danse n'est pas une sinécure. Il faut coudre les rubans, casser les semelles, apprendre à nouer les lacets à la cheville. Bien sûr, on a été prévenue : la danse est un art exigeant et il faudra souffrir. Soit, on souffrira, et avec joie. Nous a-t-on prévenus que l'écriture serait un exercice exigeant ? Parfois oui, parfois non, on aura tout entendu sur le sujet. Enfin, tout et son contraire. Rien d'intéressant, en somme, et il n'y a pas de professeur. Les chaussons sont attachés, les corps échauffés, les cinq positions répétées. Le mouvement des pieds doit être extrêmement précis. D'ailleurs, chaque pas porte un nom bien particulier. On saute. « En rythme, écoutez la musique », répète le répétiteur. J'écoute la musique oui, je l'écoute encore. Même quand il fait grand silence dans mon bureau. Là, une virgule ; là, un point virgule. Des points de suspension. La phrase doit virevolter, sinuer, parfois s'alanguir, parfois se raidir. Elle doit obéir. Elle doit se plier à ce que je veux. Sinon, pourquoi aurais-je appris à danser ? La plupart du temps, il faut donc de l'échauffement. Une sensation d'heures perdues. De difficultés sans cesse retrouvées. Et parfois, le tempo est le bon. D'emblée. Une, et deux, et trois, musique, les doigts cliquètent sur le clavier comme de toutes petites ballerines, tic, tic, comme jadis le bout dur du chausson sur le plancher de la scène, en rythme, c'est cela surtout : si le rythme est construit, le texte a quelque chance de ne pas manquer d'élégance.