Au coeur de l'Afrique

Publié le  29.07.2011

L'Afrique rêvée, celle de l'art colonial, a sans doute encore moins de rapport avec l'Afrique contemporaine que le mythe de la Flandre littéraire et picturale avec la Flandre qui s'est progressivement construite à l'ombre du rideau de betteraves.

 

Afrique des soleils flétris des Indépendances. Afrique des guerres dévoratrices et des coopérations bancales. Afrique sous perfusion et prédation incessantes. Afrique qui n'affiche pas pour autant le visage de la morosité.

 

Quelles créations aujourd'hui sur des rives, où le français engrange par ailleurs une part d'un avenir réel, mais moins évident que d'aucuns ne le clament si l'on persiste à ne pas regarder ce qui s'y passe ? Les formes qui fleurissent dans les Francophonies du Nord, aux prises avec l'abstraction croissante de la vie, ne constituent certainement pas la panacée de ce qui peut s'inventer sur les bords des lacs Kivu ou Tanganyika, par exemple.

 

La violence y rôde aussi bien dans la mémoire de chacun (qui a perdu tel ou tel de ses proches) que dans l'insécurité ambiante ou dans les tensions politiques, toujours susceptibles de dégénérer à nouveau. Les textes ne cessent donc de plonger - de replonger - dans les affres des tueries des cinq décennies écoulées. Et jusqu'à la hantise des plus récentes...

 

Le 25 juin dernier, un vieux Congolais du Kivu mimait, sur la scène de l'Institut français de Bujumbura, un vieillard halluciné disant - redisant à l'infini - le lit de sang et de fange d'un quotidien qui n'en finit pas d'exhaler ses horreurs. Chacun retint son souffle. À la silhouette déglinguée de cette ouverture répondait, au finale, la pose - presque hiératique - d'une jeune femme burundaise. Elle énonçait, dans cette attitude tout sauf expressionniste, le récit poignant et pudique de la mort d'un jeune militant politique assassiné lors de la dernière campagne électorale. Fait ordinaire sur les collines qui entourent la capitale

 

Le soir, Bujumbura ne s'assoupit ni ne se morfond pour autant. Dans la partie ancienne de la ville qu'Albert Russo décrit avec émotion dans les souvenirs de ses Exils africains, les rythmes continuent d'hanter la nuit. Aux abords d'un vieux cinéma colonial, dans un vaste patio intérieur, empli d'une foule bon enfant, la piste vibre. Des couples âgés y rappellent l'éternelle tendresse. De gentes grâces scandent le sol dans des poses à fendre l'âme.

Tout paraît juste, tout tient à un fil.

 

Parfaite, une jeune femme moule les sons de l'orchestre d'une façon tout aussi sublime que sa présence. Devant elle, la regardant, lui prenant parfois les mains, une enfant (de deux à trois ans) s'essaie, fascinée, à suivre les déhanchements tenus de sa mère.

 

Sur le podium, veste blanche, inlassablement le chanteur enchaîne de nouveaux rythmes, après ses « ça va, on y va » rituels. Et la piste repart.

 

L'homme est aveugle.

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