Écrire et écrire?
Elle ne se considère pas comme une auteure. Autrice? Elle a remarqué que les gens qui veulent rendre à Cléopâtre ce qui appartient à Cléopâtre disent “autrice” maintenant. Sauf que ce n’est pas encore dans le dictionnaire automatique de son Word. Elle écrit “autrice” et Word la corrige en lui proposant “Autriche” ou “autruche”! Pas encore au point ces histoires de féminisation de titres et autres professions. “Auteure”, son dico l’accepte sans contestation ou autre proposition saugrenue. Elle utilisera le mot “auteure”.
Donc elle ne se sent pas auteure. Pourquoi? Parce que peu de ce qu’elle a écrit seule se concrétise. Ce qu’elle écrit avec d’autres, qui existe, justement elle ne l’a pas écrit seule. C’est sans doute certainement grâce aux autres que cela se matérialise?!
De là elle se demande s’il y a écrire et écrire?
Ecrire et encombrer un tiroir de son bureau ou la mémoire de son ordinateur, est-ce écrire? Elle en a des ébauches d’histoires, des scénarios plus et moins aboutis, des tentatives de nouvelles, même un début d’abécédaire ! Est-ce à revendiquer dans le patrimoine d’une hypothétique auteure?
De même, écrire un dossier, est-ce déjà écrire? Parce que pour qu’un projet existe il faut... de l’argent, tout simplement. Et l’argent se trouve à des endroits bien précis, connus de toutes et tous. Il suffit d'écrire un bon dossier, l’envoyer, attendre, espérer, attendre,... Écrire donc?!
Quand elle écrit un dossier, est-elle déjà auteure? Elle se calme. Un dossier ce n’est pas non plus un roman. Le nombre de lecteurs est vraiment réduit. Au mieux s’il s’agit d’une commission, elle peut espérer cinq… dix… quinze lecteurs ? Grand max. S’ils le lisent tous.
Ça lui rappelle soudainement ses études en Histoire, spécialisation Temps Modernes, où elle en a écrit des pages et des pages. Son mémoire, notamment, s’apparentait réellement à un gros gros roman, très certainement chiant pour les non érudits, mais très certainement volumineux aussi. Et à part le professeur titulaire, son assistante, et deux membres du jury… Tout d’un coup elle se rend compte que cette somme de travail a dû être lue par moins de cinq personnes. Oups.
Mais revenons à nos dossiers. Le temps consacré à la rédaction d’un dossier prend parfois plus de temps qu’écrire le texte lui-même. (Elle ne s’est pas encore attaquée à l’écriture d’un long métrage sinon elle ne se ferait pas ce genre de réflexion).
En tous cas, elle est sûre d’avoir écrit plus de dossiers que de scénarios ou textes dramatiques. En effet, un projet demande parfois plusieurs dossiers. On frappe à toutes les portes. On cherche même à trouver d’autres portes. Car oui, de temps en temps, de nouvelles portes se présentent. Elles surgissent, elles étaient bien cachées ou jalousement gardées? En tous cas, bam, une nouvelle porte. Et bim, la perspective d’un nouveau dossier. Mais... quelle est la date de clôture des inscriptions pour rendre ce dossier? Ouf, ce jour-là à minuit. Ok, y’a encore moyen d’y arriver, mais ne pas tarder. Son adage depuis l’Université, qui l’a déjà bien sauvée: “Il n’est jamais trop tard, mais grouille-toi”. Alors elle se grouille.
Pour les dépôts par internet avec une date butoir et une heure très précise de clôture, l’expérience lui apprend qu’il ne faut pas le faire lors des dernières minutes. Parfois on ne choisit pas, cela fait une semaine qu’on travaille nuit et jour. Certainement, mais quand même, ne jamais attendre la dernière minute, il y a toujours un problème : le site est très compliqué, il faut remplir une fiche d’identification et/ou un questionnaire sur le site même, le cv doit être en format pdf, les deux cv des deux auteur(e)s doivent être sur un même document pdf,… le pc plante ! À minuit une, c’est trop tard, le site n’est plus accessible, les candidatures sont clôturées, l’espoir envolé.
Qu’est-ce que c’est chiant les dossiers. Mais elle avoue qu’elle y trouve quand même un bénéfice et pas des moindres; pour décrire, communiquer, partager son projet et donner envie, elle doit tellement triturer sa matière, s’y plonger si profondément, l’introspecter, la comprendre si précisément qu’elle entre en fusion avec son sujet.
En fait les dossiers c’est comme la merde : c’est une absorption de son plat préféré préparé avec amour et conviction, puis une digestion plus ou moins laborieuse, et enfin une expulsion, un soulagement. Un passage obligé pour (un mieux-) être.
À la question écrire un dossier est-ce déjà écrire, elle a tendance à répondre “oui”! La preuve en est que certain(e)s sont si doué(e)s pour les écrire, que ces dossiers passent à chaque fois. Les lire c’est entrer dans un univers, être pris par la main et emmené avec délicatesse, humour et/ou émotion dans chaque pièce et recoin du projet à venir. Car les dossiers doivent être hyper explicites. Tu te dis « je ne vais quand même pas préciser ça, ils ne sont quand même pas cons à ce point ! » Et tu comprends plus ou moins vite que oui, tu vas préciser ça. Et rien à voir avec le degré supposé de connerie. Enfin pas que. Non, à voir avec l’interprétation potentielle du texte, la compréhension des intentions, la disposition et la subjectivité des lecteurs.
Si tu veux être soutenu(e), tu dois savoir exactement comment vont se concrétiser tes mots. Donner des garanties. Décrire le projet du siècle et amener les confirmations qu’avec leur argent tu feras exactement ce que tu as décrit dans tes dizaines de pages et donc, ce qu’ils ont validé. Convaincre que ce que tu as écrit peut être monté, réalisé, que ça va être aussi dément que sur papier. Elle se demande où est la part d’improvisation, où sont les imprévus, où est la vie? Elle se le demande toute seule et ne le dira jamais devant les instances qu’elle sollicite. Elle fera comme si elle savait tout, n’en démordra pas et quand elle aura les sous, elle se laissera porter par la réalité de la réalisation, ses sentiments, les gens magnifiques qui l’entourent, leur enthousiasme, leurs idées… les imprévus réjouissants,... la vie.
Ce qu’elle écrit dans ce billet.
Et mince… écrire un billet est-ce écrire?