Brume de Dieu

Publié le  04.04.2011

"Nous avons besoin de courage et de force pour passer par une période de dissonance. C'est par la peur de la dissonance et parce qu'on s'adapte au passé qu'on ne fait pas de progrès. Il ne faut pas s'adapter, il faut créer."
Piet Mondrian

Lentement. Ou peut-être bien plus que lentement : dans une immobilité mouvante, l'acteur s'avance dans l'espace scénique. Et en avançant annule cet espace. En construit un autre autour de son rythme propre. Lente avancée dans ce qui deviendra un espace mental partagé, où la progression presque statique de l'acteur entraîne l'esprit des spectateurs qui lentement acceptent de lâcher les amarres du temps quotidien - ou s'en vont. Il faudrait pouvoir photographier ces images mentales, vol d'oiseaux dans le ciel de nos têtes, « vent derrière le vent », être se détachant de l'empreinte visuelle de l'être, dont Claude Régy fait apparaître la secrète existence. Images mentales renvoyant au-delà de l'apparence figée du présent pour entrer dans le flou de sa composition jusqu'à atteindre des états refoulés sous la conscience, silhouettes d'archétypes. Savoir que le comédien (Laurent Cazanave) n'est pas Mattis, le personnage central des Oiseaux (roman de Tarjei Vesaas) : il est l'écriture à travers laquelle Mattis existe. Il en est donc les mille fluctuations. Il est le frère demeuré de Hege. Celui qui voit ce que plus personne ne voit. Il est Hege aussi quand il porte sa voix. Il est la part de l'auteur contenue dans le texte. Le paysage nordique, ses habitants. Il est la lumière qui donne vie à ses mots. Il est tout à coup l'image de Johannes dans Ordet. Marchant les bras en croix au milieu des landes. Et à travers lui, il est aussi l'image du Christ. L'image déjà d'autres personnages émergeant de l'inconnu à venir. Et il n'est rien de tout cela. Il est brume. Brume où voguent les miroirs et où se noient les traits reconnaissables. Mise en forme de la pensée informelle. Prise de parole d'une autre parole. Naissance d'un nouveau corps. Patiemment ramené de la profondeur de l'ancien. Et cela dont nous ignorons encore le nom comment le nommer ?

*Le spectacle Brume de Dieu de Claude Régy sera repris à partir de septembre 2011 à la Ménagerie de Verre (Paris). Laurent Cazanave est nominé aux Molières 2011 dans la catégorie « Jeune talent masculin ».

À découvrir aussi

Muses de Bela - Valérie de Changy

  • Fiction
Au départ, il y a l’envie de provoquer la rencontre. De voir comment les pratiques se répondent, ricochent, ou pas, font des grands écarts. En 2015, pendant la Foire du Livre, nous invitions des ...

Leçon de l'hiver

  • Fiction
Les réactions excédées de certains voyageurs confrontés aux dysfonctionnements qu'ont connus les transports en ce rude hiver sont représentatives d'un dérèglement profond de l'esprit humain. Ils me fo...

Pourquoi faire péniblement aujourd’hui ce qu’on peut aisément remettre à demain?

  • Fiction
10h04. Je m’installe à ma table de travail, fraîche, reposée, réjouie par la journée en perspective: pas de contraintes, pas de rendez-vous, pas d’obligations, pas de distraction en prévision. Dehors,...