Cannes ou la course aux producteurs

Publié le  24.05.2017

Jean-Luc Goossens est scénariste. Membre du comité belge de la SACD, il a fait partie de la délégation belge à Cannes. Voici l'écho du comité, en exclusivité pour Bela !

CANNES OU LA COURSE AUX PRODUCTEURS

Vous êtes un(e) jeune scénariste, et tout naturellement vous vous posez la question: comment accrocher un producteur à Cannes, et lui vendre votre génial projet?

Il faut savoir qu'à Cannes, le producteur est une race particulièrement fuyante et difficile à attirer dans ses filets. Pour une raison simple: il court lui-même après les financiers, il n'a qu'une idée fixe: comment trouver de l'argent pour ses propres films. Dès lors, rencontrer des auteurs n'est jamais sa priorité.

Espérer le coincer grâce à un rendez-vous fixé de longues semaines à l'avance ne sera pas forcément une garantie: vous risquez d'être annulé au dernier moment s'il a tout à coup mieux à faire.

Dès lors, la rencontre fortuite (ou soi-disant fortuite) semble encore la meilleure stratégie.

Un lieu particulièrement propice, surtout par beau temps, est la pelouse du Grand Hôtel (ou autres bars des palaces, dont le seul inconvénient reste évidemment le prix des boissons). Le producteur y pullule, vautré sur les canapés, il y enchaîne les rendez-vous rapides, autour d'un soft ou d'un café à quinze euros TTC.

Bien sûr, il est difficile d'y aborder des gens que vous ne connaissez pas. La meilleure technique consiste donc à repérer quelqu'un que vous connaissez vaguement, même très vaguement, et de profiter d'une poignée de mains rapide pour vous faire présenter quelqu'un d'autre (de plus intéressant bien sûr). Conseil numéro 1 : ne jamais avoir l'air désœuvré, mais super-affairé sur votre smartphone. Conseil numéro 2 : pitcher brièvement votre projet, et si vous sentez un début d'intérêt, ne pas raconter la suite, mieux vaut s'arrêter sur une impression positive, la capacité d'attention du producteur est limitée, surtout à Cannes où elle décline très rapidement. Conseil numéro 3 : si le producteur semble prêt à lire votre scénario, ne jamais lui fourguer sur le champ une version papier, il la perdra à coup sûr avant de l'avoir lue, et votre chef d'œuvre finira dans la poubelle du Carlton. Mieux vaut demander au producteur une adresse où lui adresser le texte (bien que le producteur soit rarement enclin à lire, il a toujours plus excitant à faire). Conseil numéro 4 : éviter la distribution de cartes de visite, elles aussi risquent de s'égarer, et pire, vous feront passer pour un commercial en manque de boulot. Le scénariste n'est pas un vendeur de cuisines équipées, mais un artiste qui gagne à cultiver un certain mystère. Renvoyer le producteur vers son agent est très classieux, et de nature à le rassurer.

La file des projections du soir est un lieu moins adéquat pour les contacts, stress et bousculades à l'entrée des marches laisseront peu de place à un pitching efficace.

Mais à partir de minuit, quand le producteur sort de projection, ou de table, il est à nouveau fréquentable, pour peu qu'il ne soit pas trop imbibé. L'alcool aidant, il peut se montrer très bon public, et totalement amnésique le lendemain, voire d'humeur détestable si vous le rappelez de grand matin.

Autre écueil à éviter: tomber sur le seul producteur qui cherche des auteurs (c'est, hélàs, souvent mauvais signe), et qui est si désoeuvré qu'il est prêt à leur consacrer du temps. Quand il n'a pas tout simplement en vue un plan-drague (autrices, soyez vigilantes!)

Comment ne pas me souvenir ce cet après-midi passé sur la pelouse du Grand Hôtel, où un producteur fort sympathique, mais totalement dépressif, m'a joué une thérapie de couple en direct, avec sa compagne qui voulait le quitter (j'entendais les deux versions en stéréo, un récit à deux voix, qui valait tous les scénarios). Il m'a ensuite poursuivi pendant des semaines pour me faire lire ses projets en cours et chercher mes conseils (gratuitement bien sûr).

Moralité: à Cannes (ou ailleurs), la course au producteur reste un sport à haut risque !

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