Une petite jupe en soldes
Une fille bien élevée ne tire pas la langue à n'importe qui mais lèche les vitrines dès son premier argent. Quand ? En toute saison, surtout le samedi, avec des pics avant Noël, aux soldes de janvier et de juillet. C'est l'œuvre d'une vie entière de lécher les vitrines, une œuvre digne du Guiness book ou de la mythologie grecque.
Remplir un tonneau percé ou remonter son rocher en haut d'une colline ne forcent plus le respect depuis l'invention de l'ascenseur et du Caddie. Mais lécher une vitrine piquetée de mouches ou de flocons de neige mérite un sacré coup de chapeau. Car les résidus de gaz carbonique et la bave des précédentes réduisent l'espérance de vie et la dignité.
Faire les vitrines exige de renoncer à la courtoisie. Ainsi, la lécheuse de vitrines n'hésitera pas à pousser du coude et à contrefaire le piqué du vautour sur son petit chemisier crème. Au besoin, à imiter les hommes, comme au bistrot ou à la guerre.
Le risque est proportionnel au rabais affiché en vitrine et à la carte de crédit du mari.
La veille des soldes, il ne sera pas vain de se faire corriger la vue par un ophtalmologue. Le lèche-vitrine réclame un œil de vautour, on l'a dit. Et un mental de mathématicien.
Soit une cliente qui abuse de crème pâtissière à l'heure de la pause. Les sucres rapides lui élargissent les hanches illico. La jupe démarquée à l'étalage rétrécit en proportion. Mais de combien ? Et quel acte poser vu que la taille au-dessus n'est pas disponible en rayon ? Renoncer à sa bonne affaire ? Ou entamer une cure d'amaigrissement dès le lundi? Se le promettre dans le confort ouaté de sa conscience suffit à convertir le coup de cœur en affaire du jour. Une affaire si miraculeuse qu'en garder le secret donne la saveur au fruit défendu. Fruit que la cliente enfilera peut-être, avant de l'oublier, blet, au fond d'une armoire.
Ou qu'elle écoulera parmi tant de vieilles loques à une boutique de seconde main.
Manière d'arrondir la fin de mois.
En prévision des soldes de l'été prochain.