Eloge de la feuille et du feutre

Publié le  14.03.2011

C'est l'histoire d'un enfant. Mon prochain livre. Alors je veux un cahier ligné légèrement où je peux dépasser exprès, dessiner un bonhomme entre deux paragraphes, égratigner les bouts de phrases littéraires, les déchirer presque, noircir les mots médiocres sous un petit ciel d'encre, un orage. Je veux écrire les  « L » avec une boucle de lacet, pas un angle droit, pas de petit « l » en poteau. J'ai mal d'écrire « l » au clavier. Merde ! Et « merde » et « fleur » se tapent de la même façon, cinq pauvres clapotis de doigts.

Et pour la poésie un carnet de fortune que je sors de ma poche à la boulangerie parce qu'elle est lente, la boulangère, mais ce qu'elle peut être lente à servir madame Jars, qui raconte son chien ! Dans mon carnet de fortune j'invente un autre chien, poème compagnon dont j'ai brûlé la laisse et la muselière. Elle croit que je relis ma liste de courses.

Et voir la virginité du cahier, interminable, deux cent pages sans horizon, paysage de neige où nul ne vint jamais. Aimer le pas qui tremble en haut d'un premier feuillet, puis se mettre à courir, et choisir les chemins. Prendre un feutre aux couleurs de terre grise, marchant tout seul, avec son noir de seiche qui laisse courir l'eau.

Un jour, un jour l'Atlantique a voulu emporter mon sac, avec notes et visa, fric et stylos. J'ai plongé à demi, attrapé la bride, ramené le tout sur le sable de cette plage africaine, et juste avant le soir, mes pages au fil à linge ont séché sous le soleil béninois. Les mots n'ont pas coulé, ils ont gardé leur sang, leur petit sang de mémoire.

Un feutre ça murmure, quand le clavier fait un bruit de rat grignotant votre pain. Un feutre ça s'étrangle, ça se range à l'oreille.

Flaubert se disait « homme-plume ». Le Clézio vous parlera de l'arthrite que la machine lui laissa. L'ordinateur est l'instrument de la fin, du texte achevé, fossilisé, prêt à recevoir le livre.
Et le clavier, c'est mon piano.

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