Fakeland - Le billet du comité

Publié le  13.07.2016

Stéphane Arcas est auteur, metteur en scène et scénographe. Membre du comité belge de la SACD, il fait partie de la délégation à Avignon. En exclusivité pour Bela, voici l’écho du Festival selon Arcas :

 

FAKELAND.

 

Avignon, capitale de l’imposture.

La seule ville du Sud de la France où on doit être à l’heure à des rendez-vous pendant un mois.

Une imposture ? Non, des impostures.

Impostures affichées et distribuées par poignées.

Fakeland.

 

La cité du Théâtre ou plutôt la cité qui dit qu’il y a des théâtres mais, en fait, si on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il n’y a que des cloîtres, des palais, des arrière-cours, des patinoires ou d’autres lieux maquillés pour y accueillir de faux lieux, de fausses situations trempées par de fausses lumières.

Pour les auteurs qui s’y rendent, en ou à, Avignon, c’est toujours à mi-chemin entre les fausses vacances et le faux travail.

Il y a toujours un petit rendez-vous qui s’organise, en ou à la, dernière minute. Mais comme c’est généralement, à une ou en, terrasse que ça se passe on peut pas vraiment appeler ça du travail.

Tu cours pourtant d’une salle à un café pour rencontrer des gens qui viennent d’ailleurs… on est bien d’accord ?…  je veux dire… tu vas jamais voir des gens qui viennent d’Avignon. Il n’y a personne à Fakeland en dehors du festival… À part Bénédicte. Mais même pas en fait, elle vient de Toulouse. Bref, en ou à  Avignon, tu vois des gens qui viennent d’ailleurs.

Même si certains tu ne les vois que là, genre tous les ans, ils sont pourtant d’ailleurs. Donc tu vois des gens que tu connais d’ailleurs.

En général ça se finit autour d’une piscine vide. Vide mais inondée de people.

Pas vraiment du people vu que c’est du théâtre qu’on fait alors personne ne nous connait. People c’est ceux qui passent à la télé souvent. Nous à part les mecs de la Cour d’honneur personne passe à la télé et même ceux qui passent à la télé ils y passent pas assez pour qu’on dise people.

C’est pas très grave en fait parce que, de toute façon, c’est pas une piscine vu qu’elle est vide . En plus c’est soit-disant un bar cette piscine vide. Voire même le bar du IN.

Puis là, au bord de la piscine de faux peoples, tu parles avec ton pote qui a trop chaud et qui travaille trop et pas à la bonne heure pour bien récupérer mais qui dit que c’est cool quand même et que, bon, cet hiver on y pensera avec nostalgie à ce moment-là.

Et il a pas tort.

Mais le type le lendemain tu le recroises au Théâtre des Doms et là il te dit à peu près le même truc ou en fait non… Il te dit un truc genre l’inverse. Qu‘en gros il aime bien quand il fait chaud mais qu’en fait, là, ça va pas du tout là. Là, il fait pas chaud mais il fait trop trop chaud et ça c’est pas supportable. Toi tu l’écoutes mais tu te dis qu’en fait le gars quand tu l’as vu le premier truc qui s’est passé c’est qu’il t’a fait qu’une bise. Parce qu’il est aux Doms et que le gars en fait il se croit au pays et c’est pour ça qu’il trouve que, là, il fait trop trop chaud… mais en fait, là, il fait juste très très chaud mais pas du tout trop trop chaud.

Il confond mais c’est pas de sa faute au gars c’est juste qu’il se sent comme chez lui. Mais il est, en ou à, Avignon (comme tu veux) et les Doms c’est trompeur tellement c’est belge. T’as des plans où tu bois des chopes avec la ministre de la culture pendant que le Ministre Président (ça c’est pas hypra belge ?) cause avec Alain Cofino Gomez, le nouveau belge espagnol français (un peu comme moi) qui dirige le théâtre.

Puis une poignée de secondes plus tard tu te retrouves dans le palais des papes encerclé de nazis, qui parlent avec une diction à la Jean Marais, mis en scène par un gars qui parle en néerlandais comme le communiste qui avait fait brûler le Reichtag. Puis tu marches dans ces rues couvertes d’affiches, tu vois des flyers, tu entends des filles qui chantent de la daube – et qui la chantent mal en plus – pour aguicher des touristes japonais qui restent polis.

Et en fait, t’arrives dans une cour couverte de lierre accueilli par Alexandre du Théâtre National (de Belgique).

Puis tu vois une forme courte avec Agnès Limbos et Thierry Hellin qui parlent en anglais et aussi en quelque chose ressemblant à du serbo-slovaque ou genre. À un moment même il s’enferme dans le frigo.

Il a peut être trop trop chaud.

Tu comprends plus trop ou t’en es. Arrivé à ce stade-là, je veux dire…

Tout s’emmêle.

Et le trip s’arrête pas là, parce que le pire – comme si t’étais pas suffisamment embrouillé – c’est que ton pote Antoine Laubin, juste après, il présente un spectacle écrit par Jean-Marie Piemme, Thomas Depryck et Axel Cornil sur la notion de « chez soi ». Et, là, tu vois deux Allemands en duplex vidéo (en fait ils disent qu’ils répètent un autre spectacle – pas celui-là – à Marseille) qui expliquent à Hervé Piron et Lily Noël, eux vraiment là (par là je veux dire là, sur scène, là, présents sous nos yeux) un truc flou sur cette notion de Heimaten (en gros ça veut dire « chez soi » mais c’est pas que ça, c’est pas si simple ça inclut d’autre notions plus sensibles). Bref, Lily, elle, pour ça, elle parle de Quaregnon. C’est ça « chez elle ». Mais quelques centaines de mètres plus loin y a Denis Laujol qui parle de Quaregnon et du cyliste Florent Mathieu qui lui aussi était borain de Quaregnon devant les mecs de l’Humanité. Moi j’y ai été à Quaregnon c’est pas Fakeland Quaregnon, c’est minuscule et c’est concret… enfin comme tout le Borinage jusqu’à une certaine heure.

Denis lui c’est mon voisin à Forest mais il vient du Lot-et-Garonne en France comme Lucille Calmel et moi.

En gros quand tu fais un passage éclair, à ou en, Fakeland c’est troublant et t’es un peu partout où t’as envie d’être.

Tu reçois tellement d’images et de sons rien qu’en marchant dans les rues que le temps s’étire et que un kilomètre en vaut trois, tellement toutes ces informations intrusives forcent ton cerveau à passer d’un univers à l’autre.

Fakeland c’est une sorte faille spatiotemporelle qui t’amène de la Grèce antique au XIX° siècle en deux secondes en passant par Gérard Jugnot.

C’est pas forcément toujours de bon goût et c’est ça qui est fatigant des fois.

 

L’intrusion de certaines formes de mauvais goût dans mon cerveau.

Mais bon c’est le prix à payer pour traverser Fakeland d’accepter de devenir la corbeille du mauvais goût l’espace de trois volées d’escalier ou le temps de traverser une rue.

À ou en Fakeland, je suis partagé entre ce sentiment qui me fait détester cette superficialité et le plaisir d’avoir rencontré des futurs collaborateurs pour parler de mon prochain projet hors cadre matériel.

Dans un jardin bordé de vieilles pierres loin du concret.

Et même au bord d’une piscine vide, revoir des vieux copains.

 

Mais bon, le côté consumériste, en ou à Fakeland faut se le cogner aussi !

Puis comme le dit Isabelle Bats, people ou pas people, en fait personne couche avec personne en ou à Avignon.

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