"Je suis anarchiste !"

Publié le  25.11.2013

Il s'est souvent prétendu anarchiste, comme Brassens, disait-il. C'est d'ailleurs souvent dans de grands moments de déception vis-à-vis de la politique qu'il prenait cette grave et solennelle décision : « Je suis anarchiste ! ». Exactement comme quand il disait « je ne crois plus en Dieu ! ».

Il est l'homme « libre » qui ne se résout pas à vivre dans une société capitaliste, qui plus est, loin des valeurs humaines. On parle ici de valeurs qui chez lui, à première vue, pourraient facilement être confondues avec de la paresse profonde et malheureuse.

« Comment tu veux vivre dans un monde où l'on doit se ranger comme des moutons les uns derrière les autres ? ».

La dépression est, chez lui, un reste de soumission mal digérée. Entre autres choses.

Fût-ce la guerre ou la dépression de son père, conséquence, de toute manière, de la guerre également. Fût-ce un désir de vivre dans un monde d'opulence. Opulence parce que quand il a de l'argent, il ne déprime pas. La grosse déprime, c'est quand il se retrouve sans le sous et qu'il a une pile de dossiers à traiter qui l'attend sur son bureau et que, merde, merde et merde, il ne pourra pas consacrer son dimanche à ses chiens ou à son jardin.

Son père était au front, non du côté des résistants, mais bien de celui des collabos. Il est donc né à une époque lourde et apathique.

J'ai toujours été impressionnée par sa façon d'ignorer le mal qui l'entoure, son propre mal, et, à la fois, je suis fascinée de constater qu'il a une pleine conscience, une critique et une connaissance des injustices, ici, mais aussi à l'autre bout du monde. Comme il n'a pas la force de faire plus qu'exercer son métier, il se contente d'apprécier les petites choses du quotidien, celles qui l'entourent et qui sont tellement simples qu'on les aurait presque oubliées.

Encore aujourd'hui, il rêve de devenir écrivain. De conquérir le monde. De traverser l'univers. D'aller, à pied, jusqu'au site de Machu Pichu, et de, par je ne sais quel miracle, devenir riche. Devenir riche, riche, riche ! « Riche comme Crésus ! ».

Je me demande toujours combien de temps il lui reste et je suis déjà triste à l'idée de savoir qu'il n'aura probablement jamais l'occasion d'aller au Pérou, ni de se rouler dans l'or. Mais voilà, il communique au moins la force d'y croire. Il y croit dur comme fer, c'est terrible ! Il n'y pas de raison de le contredire, n'est-ce pas ? 

En apparence, c'est un homme grand, généreux, fort, honnête, sociable et courageux. Mais il est aussi seul, triste, apeuré, lâche, égoïste et gourmand. Il est la parfaite expression de la complexité humaine bourrée de naïveté et d'illusions.

Le père ouvre la porte vers la liberté, offre à l'enfant le monde sur un plateau d'argent. Si tout se passe bien, l'enfant peut filer de découverte en découverte, sans se retourner, sûr de lui et confiant en cet homme qui le suit et l'observe de loin, avec ses petits yeux plus ou moins souriants.

Parce que c'est bien cela que l'on nous incite à faire : ne pas baisser les bras. Sinon, chacun de nous pourrait tout perdre. Jusqu'à la vie elle-même. Sans nous permettre de voir ce que l'on oublie trop souvent de regarder et d'entendre ceux que l'on a tendance à ne pas écouter.

Je n'ai pas la force de faire plus que ce que je ne fais, exercer mon métier.

La liberté. C'est peut-être ça, au fond ? « Je ne suis pas anarchise. Je suis libre. ».

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