FID Marseille - Anton Bialas: interview
Cette année encore, on a demandé aux étudiants de l'Insas qui se rendaient au FID de Marseille avec la Scam de nous ramener quelques impressions du festival... Voici la contribution de Yann Ducreux, et on l'en remercie!
A la dernière édition du FID Marseille, de nombreux films m’ont marqué. Parmi eux, on pourra citer Les Grands Squelettes, dernier film de Philippe Ramos ou encore Mitra de Jorge Leon. Le film du jeune cinéaste Anton Bialas a plus que tout attiré mon attention. Film choral en trois portraits, Derrière nos yeux explore trois univers qui pourraient être celui d’un seul et même personnage.
Face aux premières images de votre film, le plus étonnant est la distance - relativement proche - que vous avez avec vos personnages. Comment en êtes-vous arrivé à cette proximité ?
Il s’agissait de m’approcher d’eux avec une certaine pudeur et le plus justement possible. Avec tendresse mais sans y mettre trop d’affect. Essayer de trouver une distance appropriée, qui me permettrait de découvrir un peu mieux le monde extérieur, celui que je voyais en eux et peut-être de travailler plus sincèrement.
Cette proximité que l’on peut sentir à l’écran est arrivée, de différentes manières, au cours de ce travail commun. C’est d’ailleurs eux qui ont décidé de me l’accorder.
La bande sonore du film, nous amène aussi à un rapprochement avec les personnes et les choses. Quelles ont été vos premières envies sonores pour ce film ? Vos influences ?
Le travail sur le son a été très différent sur les trois volets. Pour le premier je n’avais que très peu de son direct. Il a fallu réenregistrer beaucoup d’ambiances et faire des choix parmi ces sons pour n’en garder que très peu, procéder par isolement et ruptures. Le film n’ayant pas de dialogues, il s’agissait traduire par ces autres sons le rapport de Patrick au monde qui l’entoure ; présence de sa respiration, de la nature, des oiseaux avec lesquels il entretient un rapport particulier, ou les bruits de verre qui, par leur décalage par rapport à l’image, nous donnent peut-être à voir autre chose, qui ne pourrait être formulé par des mots.
Pour le deuxième volet, c’était différent, car la parole est présente. C’est elle qui nous guide et nous donne accès à l’intériorité d’Aliasare. La musique y joue un rôle plus important aussi, car c’est à mon sens très lié à cet âge qui se trouve entre la fin de l’adolescence, une enfance déjà lointaine et un âge adulte difficile à comprendre. Comme pour le premier volet, le travail sur le son opère par ruptures assez franches, à l’image d’Aliasare qui se heurte au monde extérieur, à l’autre.
Le troisième volet était le plus difficile à faire vivre au son. L’envie était d’aller vers un dénuement quasi total. Qu’il y ait une continuité très fluide, sans montées, par petites variations. Que cette forêt devienne un espace dans lequel l’écho des deux autres volets puisse résonner librement.
Les trois moments du film sont comme les trois moments de la vie d'un même personnage. Comment l'association entre ces différentes personnes s'est-elle établie ?
Les deux premiers volets ont été tournés séparément, sans intention d’être liés au départ. En les associant par la suite, j’ai senti des motifs, des ressemblances très fortes entre la manière qu’ont Patrick et Aliasare d’être parmi nous, de considérer le monde avec un regard différent.
Ils ont tous les deux quelque chose de l’enfance, de cet âge où les sens, la perception ne sont pas amoindris. L’âge de l’enfance est à mon sens cet âge du voir, du sensible. Le troisième chapitre avec Hadrien Mossaz a été conçu pour faire résonner cette trajectoire et donner à voir trois figures qui semblent poursuivre, retenir, et opposer cet état à la solitude dans laquelle ils se trouvent.
"Ce que tu vois, tu le deviendras", cette citation de l’Évangile selon Philippe ouvre le film. S'agissait-il d'une promesse au spectateur pour un film sensible ?
Cette phrase m’est très mystérieuse. Je la réinterprète constamment. Elle m’évoque l’idée d’un devenir perpétuel qui serait déterminé par la manière qu’aurait le regard d’épouser les choses, d’en être traversé. Un mouvement sans cesse répété du dedans au dehors, du dehors au dedans. Vision qui existe à mon sens chez les trois figures de Derrière nos yeux et qui a dicté cette approche sensible du film.
Entretien réalisé par Yann Ducreux le 28/07/2018