Le métier d'écrire / Parabole 1

Publié le  15.05.2013

Cela finit par la Grande Ourse. Cela commence par la météorologie.

 

Si le temps est nébuleux, vous n’aurez pas de texte, pas de récit et pas d’image.
Il faut la nuit noire.
Je n’écris pas de nuit, certes, mais par métaphore et par météorologie, nuit noire m’est nécessaire.
Car l’idée est de relier. Relier des points.
Punctum. Pointillés, picotements, tamisage sont mes mots d’écriture pour cette première tentative de cerner, par cercles aux centres infinis, la définition de qu’est-ce que écrire.
Il me faut donc des étoiles, des percées lumineuses, des points d’ancrage que l’œil relie. Relie et ensuite, invariablement, tente de leurs donner forme. Forme, et sens.
Le plus souvent, c’est une forme qui réfère au vivant proche ou fascinant, puis au mythologique: le bestiaire.
Ainsi naquit la Grande Ourse.
Qui dans la réalité se dessine sous forme de casserole – je n’ai jamais deviné l’Ourse.
Ces astres-percées sur fond nuit sont des points d’acuité, des coordonnées oū se croisent les sensibles et les perceptions, réelles et de l’esprit. Le travail d’auteur est de réveiller, de faire vibrer ces points – voire de percer le fond nuit. Premières balises du texte à venir.
L’auteur place et réveille les étoiles afin de proposer de relier un dessin, une forme. Il ne tracera jamais les liens. C’est le lecteur qui devinera la Grande Ourse avec ses mythologies (mythologies de la Grande Ourse et mythologies du lecteur), qui l’articulera par lecture.
Le livre n’est donc qu’un assemblage de pages percées de pointillés. Il est à lire à contre-jour. Le picotement du livre fait alors frémir le lecteur et réveille en sous-texte et sous-épiderme la réelle chose écrite. Sous les mots.
Le métier d’écrire n’est qu’une histoire de points, comme ces jeux d’enfants oū l’on troue des papiers Canson avec un stylet. Le métier d’écrire est un voyage d’astronomie, astronomique et vertigineux, de nuits des temps, sans bords (l’infini de la trouée du point et les hors champs du ciel-nuit). On se perd facilement, vous en conviendrez.
Les points demandent  une acuité et une concentration que seuls permettent le retrait et la solitude dans un pli de sa tête-nuit.
Ce pli est un espace-temps sans cesse grignoté, ou menacé d’éboulement. Les marées du quotidien, même menu et miette, rongent et interfèrent. La nébulosité, alors, gagne et les étoiles, fanaux improbables, clignotent, déclinent, s’évanouissent.
Et l’on voit passer une comète, un texte avorté, une chrysalide d’écriture.

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