Le temps c'est de l'argent #2
La passeggiàta amorcée à la descente du TGV en gare de Porta Susa à Turin, m'a conduit après une vingtaine de minutes de marche au cœur de la cité, Piazza Castello. A l'origine c'était une des portes de la ville romaine. Au fil des siècles on y a érigé les différents sièges historiques du pouvoir tel que le Palais Royal des Savoie ou encore le Palazzo Madama premier siège du Sénat du Royaume d'Italie.
C'est sur cette place que depuis le 17 mars dernier est installé un campement où se relaient à des rythmes de 24, 48, 72 heures ou plus des grévistes de la faim. Ce qu'ils réclament, ce n'est que l'ouverture d'un dialogue avec le gouvernement italien sur la question du TAV (Treno Alta Velocità, TGV, en français). Depuis maintenant plus de 20 ans, une polémique a vu le jour à propos de la construction d'une nouvelle ligne TGV qui devrait d'ici 2035 relier Turin à Lyon en 2h environ.
Ce projet colossal comprend le creusement de nombreux tunnels dont un de 57km qui relierait les villes de Saint-Jean-de-Maurienne en France et le village de Giaglione dans la vallée de la Suse en Italie.
Ce que contestent les No TAV c'est d'une part l'utilité de la construction de ces nouvelles voies ferrées, d'autres part leurs impacts environnementaux, économiques et sociaux.
L'étroite vallée de la Suse est déjà reliée à la France par le tunnel du Fréjus, elle compte deux routes nationales, une voie de chemin de fer et une autoroute. La construction de cette dernière a duré 15 ans environ (de 1980 à 1994).
Ce qui était à l'origine une opposition locale au projet s'est petit à petit chargé idéologiquement et a pris de l'ampleur. La question est devenue nationale et aujourd'hui c'est à l'échelon européen que l'on commence a trouver des soutiens au mouvement No TAV : en Catalogne, en France, en Irlande, au Pays Basque, en Hongrie ou encore au Royaume-Unis.
Depuis quelques semaines, en Italie, le mouvement fait de plus en plus souvent les premières pages de la presse nationale. Cependant la position des gouvernements qui se sont succédés depuis 1991 reste la même : ces travaux auront lieu car il s'agit d'un projet prioritaire en matière de transport pour l'Union Européenne.
Mais que s'agit-il de transporter ?
Des personnes ?
Non, en fait il s'agit essentiellement de marchandises.
Pourquoi ?
L'argument avancé est qu'il s'agit de réduire les transports routiers et ainsi de diminuer les émissions de CO2.
Malgré ces nobles motifs, il est difficile de comprendre les raisons qui poussent les gouvernements italiens et français à vouloir transporter ces marchandises à grande vitesse.
Même si le gouvernement prévoit de supprimer 600.000 camions par an des routes alpines, on constate que depuis les années 90 les transports commerciaux France-Italie ont baissé de moitié.
En décembre 1999, six mois environ après l'incendie qui avait entrainé la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, le président des chemins de fer italien, Claudio Demattè, racontait : « Nous avons essayé d'insérer sur l'actuelle ligne ferroviaire du Fréjus cinquante trains de marchandises en plus par jour et nous avons réussi à en remplir seulement deux. Nous avons réduits les coûts sur la ligne de 25% et même cette opération n'a servi à rien. »
D'autre part, la construction d'une ligne grande vitesse implique d'énormes consommations d'énergie en raison de la nécessité d'avoir des lignes droites et planes, ce qui impose des saignées dans le relief, ainsi que des ouvrages d'art d'importance (ponts, viaducs, tunnels...) qui consomment beaucoup de béton, lui-même grand émetteur de gaz à effet de serre.
En fonction, un TGV lorsqu'il roule consomme environ trois fois plus d'énergie qu'un train classique.
Pour les militants No TAV il serait plus économique d'aménager la ligne actuelle qui n'est utilisée qu'à un quart de sa capacité plutôt que d'en construire une nouvelle occasionnant des dettes considérables qui prendraient de longues années à être amorties.
L'aménagement de la ligne existante pourrait être rapidement mise en œuvre, alors que la nouvelle ne serait pas opérationnelle avant 2035.
Rien qu'en mettant la signalisation aux normes TGV entre Turin et Milan, le voyage pourrait être écourté de 40 minutes.
Enfin l'Union Européenne, même si elle souhaite développer cet axe ferroviaire, n'a jamais demandé d'y construire une ligne grande vitesse.
Qu'est-ce qui motive donc l'obstination des gouvernements italiens successifs à vouloir construire coûte que coûte ce tunnel et cette nouvelle voie ?
Le temps c'est de l'argent, et pour certains c'est même parfois beaucoup d'argent...