Manger
Si notre métier c'est d'écrire, il nous faut manger : ce qui ne va pas de soi. L'écriture nous a engagé. Elle nous laisse cependant le libre choix des interims.
On cherche ce qui pourrait nous convenir. Sachant qu'au combat qui s'opère avec les mots, jour après jour s'ajoutera, sans qu'on puisse sans défaire, le combat pour les mots.
Gagner son pain mais aussi gagner du temps, de l'expérience, de l'imaginaire. Combiner tout cela en une valse quotidienne. Et servir, sans trop se faire piétiner, cette pulsion élaborée qu'est l'écriture.
Plusieurs pistes s'offrent à nous : on s'y engouffre, inconsciemment parfois. On en change car aucune n'est exempte des contingences qui rendent l'écriture impraticable, inhumaine.
La première consiste à tout lui sacrifier. S'y consacrer aux heures ouvrables et au-delà, sur des textes qui nous hantent, exclusivement. Et en payer le prix, qui serait plutôt un tribut de misère. Vivre chichement n'est pas un obstacle mais plutôt une habitude, une donnée de départ. Et accepter cela dans une maison de solitude.
La seconde piste, bâtarde et moins glorieuse compose avec des emplois à temps partiel. Si possible dans un champ d'action proche ... Un emploi culturel ... Lorsque l'on sort du travail, on est libre, pour quelques heures. Tout est alors question d'organisation et de pugnacité. Surtout lorsque les textes sur lesquels on travaille veulent se déployer et attendent de nous une constante présence.
La troisième piste ouvre l'oeil sur les différents moyens de subventions. Une bourse, une commande, une résidence ; autant de moyens de mener à bien, fut-ce temporairement, cet équilibre entre rémunération et création. Mais là encore, les écueils pointent leur nez. Car on en vient à écouter, non plus le rythme propre de l'écriture, mais celui des calendriers, des cahiers des charges.
Plus tard, il se peut que l'on trouve d'autres pistes, que d'aucuns, déjà, ont éprouvées. Puissent-elles n'être que pointillés s'effaçant derrière le livre fini, et non stigmates qui le sclérosent.