Longueur d'ondes vu par Radio Moniek #1

Publié le  02.02.2018

Terre brûlée. La fascination de la catastrophe.

D'ici, on voit un vestige de château d'eau, mi-vide, orné d'une publicité BYRRH. Un hôpital rebondi.  Des immeubles clairs. Au premier plan, rasé, un terre-plein liminaire, tracé au cordeau. On a commencé le terrassement. Là, un petit parapet de terre molle. 

1944. Brest. Place de la Liberté. 

Ce n'est pas du rien. Ni moribond. C'est ainsi que les villes perdurent : en faisant table rase. 

La photo n'est pas triste. Les ruines ont été déblayées. C'est un devenir. Comme souvent lorsque je voyage, je cherche à comprendre les lieux. 

Je me rends pour la deuxième fois de mon existence au Festival Longueur D'Ondes, à Brest. Il a lieu au Quartz. Un édifice que nous avons hanté il y a deux ans, avec les camarades de Radio Moniek. Alors, j'étais portée par l'action. Je me rappelle le code couleur (rouge?), les vérandas, la moquette (y avait-il de la moquette?). Un très grand hall. C'est tout. On y a tant travaillé. J'ai si peu vu du reste. Des rues luisant d'humidité. Un tempête crachant bas. Des bâtiments blancs, utilitaires, silencieux. À part le vent et les promos sur les araignées, aucune impression de bord de mer. J'y retourne après deux ans, parfaitement vide. Je n'ai rien à y faire. Aucune institution ne remboursera mes billets. Je suis inutile et, comme tout le monde, fatiguée par l'hiver. Dans une symétrie parfaite avec Bruxelles, le ciel est uniformément gris, la pluie horizontale comme un vieux téquel.

Je mate par le détail cette photo de 1944, stupéfaite. La destruction est le tout premier indice du lieu où je me rends. 

Encore.

Ces temps-ci, mes projets ne parlent que de ça. Mon dernier bouquinMon avant-dernier bouquin. En novembre, un feuilleton sur la guerre d’Espagne, en collaboration avec Léo Henry, m'a fait visiter Madrid par le vide. En février, une enquête sur la grandeur et la chute des communismes européens me fera piétiner dans les friches de l'ancienne Tchécoslovaquie en compagnie de Lenka Luptáková. Aujourd’hui, je vais à Brest sans rien y faire et je tire la carte « Ruines ». 

 

Je continue mon dépouillage du géant Internet (chaque seconde, comme il grossit !) et je découvre qu'un édifice a devancé le Quartz entre la ruine et nous. Un Palais des Arts et de la Culture, bâti en 1969. Universaliste, Populaire, Régionaliste. J'apprends qu'il était ouvert tous les jours, que les gamins y couraient, qu'on fumait dans les expos, traînait, se moquait, parlait fort. Je lis qu’il existait un auditorium au sous-sol, des cabines insonorisées où écouter des vinyles. Au deuxième étage, on s'y rendait pour de rien. Contempler les jardins Kennedy et, surtout, la Rade. 

Mon impression de inland n'était pas dénuée de raison : le centre de Brest, apprends-je, fut édifié dans la méfiance de l'eau et de la canaille qui y trempe. Bidasses. Smugglers. Vauban l'a caparaçonné dans ces écrins pointus qui dessinent des vulves cubistes dans toutes les villes de France. Après sa destruction par l'Alliance du Bien, un architecte en redessina les plans. Construisit un groupe scolaire, un musée. Il est mort avant l'édification du Palais des Arts et de la Culture. Le Palais des Arts et de la Culture a brûlé le 26 novembre 1981.

Je contemple les photos des ruines, larmes à l'œil cette fois. C'est ainsi que les villes perdurent. Fascination de la Ruine. Même sans le vouloir, je fossoie. Je croque les murs. Le feu prend dans le faux plafond camouflant de vrais câbles. Le tout (câbles et plafond) s'effondre comme un amas de goémonts sur les sièges, qui s'enflamment noir, dru. 

Un journal télévisé, judicieusement conservé par l'INA m'attend dans un pli du Net. Cette fois, c'est une ruine. Le mou ayant jarclé, ne demeure que le dur. Des gradins bruts m'évoquent les arènes de Lutèce. Un cratère en guise de toit. Le JT régional date de 1988. Il m'apprend avec fierté qu'au bout de 7 ans de tergiversations politico-financières, un splendide centre culturel et commercial verra le jour. À l'image, de longues banières Crédit Agricole tombent rigide, comme un costard de technocrate de série US. Nous sommes en 1988. Je pensais que le début de la fin avait commencé plus tard. 

Je suppose que j'aime les ruines parce que j'aime les fantômes*. Et vice-versa. J'aime ce qu'ils nous disent de notre histoire. J'aime surtout qu'ils ne nous disent pas tout.

Répéter ses erreurs. C'est ainsi que l'homo sapiens sapiens perdure.

Le lendemain de mon arrivée, j’agace mes souvenirs de ces connaissances nouvelles.

Le Quartz. Extérieur Jour. Là où l’ancien édifice se levait fier et gracile (Que de vitres ! Que d’étages !) le Quartz est tapi façon bunker. Pelotonné de plaques d’acier. Comme si on avait voulu conjurer le désastre. Moins de prise au vent. Lourd et plein.

Le Port. Extérieur Nuit. Des gamins slaloment entre les caisses garées dans le contre-jour d’un cargo de moyen portage. Dans les caisses garées, des couples, des potes. On fume des joints, on traîne, on chuchote. 

Comme tout est semblable. Comme tout sonne différent. 

Photo: Chloé Despax

J'ausculte la Toile. Je découvre le céramiste responsable de la fresque du foyer. Noël Pasquier. La pièce a cramé, éclaté en morceaux qu'il a rétrouvés, conservés, assemblés ensuite, domino de tôles volcaniques, en un drôle de serpent aux vertèbres dessoudées. La nouvelle œuvre est présentée à Brest en 2001.      

« [Je souhaite] harmoniser différemment cette oeuvre, explique-t-il aux journalistes. Faire passer le message que tout continue, que tout peut être réorchestré ».

 

luvan :

www.luvan.org/blog

www.soundcloud.com/luvan

www.mixcloud.com/lluuvvaann

 

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* Entre autres nombreuses choses, j’entame un feuilleton radiophonique au long court sur le sujet avec le collectif Le Grain des Choses.

 

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