À quatre mains.
Ecrire, mettre au monde un texte.
Ecrire, elle le fait seule dans son coin, c’est déjà dit. Mais aussi et surtout, elle le fait avec d’autres. Et là on sort du cliché, fondé, de l’écriture solitaire, moinesque, … déprimante ?! Elle l’a souvent fait, écrire à quatre, six ou même huit mains. Elle le fait encore. C’est riche, génial, et si ludique.
Plusieurs postulats sont possibles : quelqu’un.e a une idée et la stimule avec des axes, des visions concrètes, un univers. Un.e autre amène un texte de référence, une origine, désire qu’elle porte l’adaptation de cette parole à la scène. Un.e troisième a l’envie de travailler avec elle mais n’a aucune idée de départ, on part de zéro avec juste cette envie. Quelqu’un.e a un créneau, une occase, faut pas louper le coche, faudrait idéalement pondre un truc pour hier. Quelqu’un.e a un super projet, aidé, mais n’y arrive pas seul.e, il/elle a besoin d’elle pour une mise en forme et pense que sa contribution serait la garantie d’une résolution. Elle a ses propres envies, ses nécessités et désire développer son sujet avec ce partenaire. Tellement de points de départ, d’occasions de se regrouper autour d’une table et d’écrire. Jeter les idées d’abord, puis écrire, brainstormer, et écrire.
Les joies du brainstorming, ses règles :
Ne pas parler tous en même temps : elle aime lever son doigt, comme à l’école primaire, elle sait que c’est un peu ridicule mais cela fonctionne, c’est une manière de se manifester sans interrompre. Le doigt reste droit à l’extrémité de la main dressée au bout du bras tendu et cela jusqu’à ce qu’on lui accorde la parole. Ça marche et ça fait sourire, cette manière d’être présente sans déranger, enthousiaste mais à l’écoute. Au début c'était par politesse et parce qu’elle trouvait cette posture comique, maintenant c’est intégré et devenu son habitude.
Ne pas avoir peur de lâcher des conneries : souvent une mauvaise, énorme ou très bête proposition. C’est hors sujet, intéressant mais pour un autre projet, c’est un projet en soi, c’est pas le style de la maison, c’est trop tarabiscoté, c’est con tout simplement. Mais souvent cela permet à l’autre, aux autres de rebondir sur une réflexion suivante tout aussi mauvaise et bête peut-être, mais de rebondir et ainsi de suite. Alors au bout de deux, cinq, huit ping-pongs surgit l’idée du siècle ou tout au moins un élément qui débloque ou fait seulement avancer le schmilblick. C’est-à-dire pas de langue dans sa poche, éviter de la tourner sept fois, sa langue, conjurer l’autocensure, repousser cette sale petite voix qui condamne l’audace, qui n’ose exprimer quelque chose d’aussi minime soit-il, d’aussi insignifiant semble-t-il. Un détail suggéré peut donner des idées, ne pas être compris et créer une discussion, ou être mal compris, du coup interprété différemment et prendre alors un autre sens. Intéressant ou pas. Retour au ping-pong, à l’échange.
Ego mal placé s’abstenir : humilité soit parmi nous. Pour écrire ensemble il est nécessaire d’évacuer la susceptibilité, les jugements et autres vexations. Éviter de retenir et surtout de ressentir la paternité de telle idée, de telle mise en forme. Quand la ratatouille s’ébauche, ne pas mettre son énergie dans la revendication de la courgette amenée et coupée si finement en dés de 50 sur 50 (mm). On s’en fout du propriétaire de la courgette et ça fait chier de toujours devoir ressasser les légumes séparés. On bosse à la même recette dont on ne saura plus qui a amené tel ou tel ingrédient. Choisir donc des partenaires ouverts et non frustrés. Eviter absolument les paranoïaques.
Vendre une idée : humilité ne veut pas dire effacement. Elle est parfois convaincue d’une idée, elle la ressent profondément comme pertinente et cocasse et voudrait tant qu’elle trouve sa place dans la narration. L’expérience lui a appris que la réussite d’une telle entreprise est une question d’emballage et surtout de timing. L'enthousiasme débordant peut totalement compromettre la viabilité de l’idée. L’excitation de la proposition, l’empressement à la partager mélangent alors la chronologie des éléments, emmêlent la pensée et donc les mots qui sortent bizarrement, embrument l’élaboration du plan. Il vaut mieux attendre le bon moment, le jauger et alors placer l’idée simplement, avec des mots justes, choisis, calmement. Et surtout surtout ne pas rire de sa propre blague tout en l’énonçant. Même si dans le fond, elle se marre si fort.
Cette dernière règle n’est en réalité qu’un conseil empirique qui de surcroît n’est pas du tout infaillible.
Après ce qu’il faut savoir, ce que ça vaut de vivre.
Le bonheur d’être à plusieurs. Au-delà de la sentence ”Il y a plus d'idées dans deux têtes que dans une”, on rit plus à plusieurs que seul avec soi-même. Bien qu’elle aime rire et le fait souvent seule, à plusieurs ça n’a pas d’égal. Elle adore ses partenaires d’écriture et de création. S’ils travaillent ensemble et sont amis c’est qu’ils sont sur la même longueur d’ondes. Et ces ondes, titillées sur certaines fréquences sont extraordinairement drôles, donnent des moments d’extrême hilarité jouissive. C’est vrai qu’elle ne s’est jamais lancée dans l’aventure du drame, toujours la comédie, plus ou moins noire, plus ou moins grinçante, mais comédie cependant. Ceci explique peut-être un peu de cela.
Warning Bonheur : parce qu’ils s’apprécient et sont de bons camarades, les débuts de sessions de travail sont forcément empreints d’échanges amicaux. Elle donne un autre petit conseil: si possible, ne pas trop éloigner les rendez-vous ou périodes de travail car chaque première retrouvaille pour bosser certes, mais retrouvaille quand même, c’est minimum une heure perdue sur le temps d’écriture, sans distinction de sexe quant au(x) partenaire(s). Quoiqu’avec une amie cela peut aller jusqu’à deux, surtout si cela fait longtemps qu’elles ne se sont pas vues… Si elles sont trois, ça multiplie les heures d’écriture perdues comme les heures de joie d’être tout simplement ensemble.
Son mot de la faim : Solitude rime avec incertitudes. À quatre mains rime avec le plaisir d’être dans le même bain.