Muses de Bela - Luc Dellisse

Publié le  04.03.2015

Au départ, il y a l’envie de provoquer la rencontre. De voir comment les pratiques se répondent, ricochent, ou pas, font des grands écarts. Pendant l'édition 2015 de la Foire du Livre, nous invitions des auteurs dans un salon aménagé sur notre stand. On leur a dit: soyez la muse l’un(e) de l’autre. On leur a dit aussi: on aimerait que vous parliez de votre métier d’auteur. On a ajouté: si vous nous envoyez un portrait après, ça nous intéresse – mais si vous préférez partir sur la fiction, l’illustration, la poésie,… allez-y. On leur a dit enfin: vous avez 48h pour nous envoyer votre création après la rencontre. Et les voilà:

 

Dimanche 1er mars, nos muses étaient Chloé Perarnau et Luc Dellisse. Luc a réalisé un texte suite à la rencontre, inspiré par Chloé:

 

Le Cercle de Chloé

 

Le fil continu de l’histoire que je dévide depuis l’enfance parfois se noue, se bloque ; il faut une saccade pour le dégager. Durant cet instant de résistance, il se produit un flottement, une sorte de glissement des masses de lumière. Ebloui, un peu égaré, je vois certains visages se parer soudain d’une couleur familière. Il se produit des ressemblances inespérées.

J’ai reconnu Chloé. Elle n’était pas l’étrangère avec qui j’allais passer une heure. Elle était la voisine, la cousine, la fleuriste des jardins de l’enfance, l’auto-stoppeuse sur la route de la mer, la rêveuse qui lit les contes de Voltaire sur le banc du square.  Pendant que je disais quelques mots sur l’heure tardive, que je retirais le lest de mes poches, que je m’installais dans le fauteuil miniature, je regardais, entre ses mains, le carnet de kraft bariolé, le crayon serré, mince et blond comme un cigarillo peint par Manet. De ses mains, je suis remonté jusqu’aux yeux et j’ai vu leur gris transparent se détacher du rêve, par saccades, et rejoindre le bleu.

Chloé, voix nette et chantante, gestes retenus, coudes serrés, sourire grave, mouvement joyeux des cheveux et des cils, front appuyé sur le marbre d’un dimanche paresseux.  A côté d’elle, du côté des livres, une vitre invisible par où on distinguait des reflets du monde, avec un léger décalage tournoyant.  Elle m’a dit qu’elle était en partance, mais le cercle sage de sa voix la retenait dans le présent. Nous tentions d’aller vite sans cesser d’être nonchalants.  J’ai vu une facette claire de sa vie, un éclat rapide, une promesse sans mot : elle serait heureuse et ne se mentirait pas.

Je lui ai donné mes secrets du jour, pour pouvoir repartir les mains vides, comme il convient. Elle s’est levée. J’ai vu qu’elle dormait debout, mélodieusement. C’était une danse légère. Sa voix ici. Son corps à Lisbonne. Son esprit cherchant la ligne du dessin et la trouvant, juste avant de rompre le cercle, de prendre le large.

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