Le creux de la vague
Lorsque la mer se retire, ne restent sur la grève que quelques sacs en plastique, un ou deux crabes affolés et un toupet d'algues desséchées par le sel. Un bout de bois, parfois, poli par l'infini bercement de l'onde. Le promeneur désoeuvré qui arpente la plage à marée basse ressemble à l'écrivain en panne d'inspiration. Ramassant le bâton, il le scrute, le soupèse : rien à en tirer, décidément - et le jette à l'eau, dépité. Vraiment, une mauvaise journée. Pas une phrase, pas une idée. Où est-il passé, l'enthousiasme qui gonflait sa poitrine pas plus tard qu'hier, le vaisseau qui cinglait toutes voiles dehors vers de nouveaux rivages? A-t-il déjà épuisé ses ressources, ce fond marin mille fois dragué ? Où sont-ils, les trésors cachés de son âme, huîtres, perles, coquillages nacrés ? Ces cieux illuminés, ces voyages, peut-être les a-t-il seulement rêvés ? La marée remontera pourtant, il le sait - mais quand ? Quand ?
Malencontreuse idée, une visite au libraire achève de le décourager : dans l'océan des nouveautés, ses trois ouvrages, frêles radeaux, ont depuis longtemps sombré. Les épaules basses, il touille du pied dans la vase, fixe l'horizon vide où flotte une brume. Et tandis qu'il se retourne pour examiner son empreinte sur le sable mouillé, la mer, déjà, efface la trace de ses pas.