Non-non au pays de Oui-oui

Publié le  18.11.2013

Pour ce troisième billet de (mauvaise) humeur, je tiens à partager avec vous mes merveilleuses aventures dans la délicieuse contrée de la littérature jeunesse, qui n'a pas grand chose à envier à celle de la littérature adulte, et j'entends déjà les grincheux dire que non, vraiment, je ne suis jamais contente et que j'ai toujours quelque chose à critiquer !
Et pourtant, jugez par vous-mêmes, chers lecteurs, sachant que je n'invente rien et que tout cela c'est du vécu, oh combien…

Il était une fois, une femme qui rêvait d'écriture, et de vivre de sa plume sous son nom et en écrivant ce qui lui plaisait. Ah, mais, quelle arrogance ! Elle  investit même dans un cursus complémentaire pour mieux y parvenir, une sorte d'université de « creative writing » à la belge, infiniment folklorique, où il lui fut vivement recommandé, si elle tenait à vivre de sa plume, de s'orienter vers scénario et écriture jeunesse, les deux créneaux où, à l'époque, l'on manquait encore d'auteurs. Qu'à cela ne tienne, brave fille, elle s'exécuta.

Le premier album illustré eut toutes les peines du monde à voir le jour, dans une grande maison où les directeurs éditoriaux ne cessaient de se succéder dans un ballet effréné, chacun avec des goûts et désirs différents et force hésitations à la clé. Traversée par un éclair de génie quant à la meilleure façon d'emporter la donne - les hésitations éditoriales avaient, mine de rien, duré près d'une année… - la brave fille décida de demander à l'illustratrice (qui était bonne pâte) de reformater la mise en page pour qu'elle soit « en tous points » identique à celle de la maison d'édition pressentie... Et, dans un effort d'imagination du énième éditeur que l'on ne peut que saluer, c'est alors qu'il daigna enfin publier notre petite histoire, la voyant soudainement et comme par magie s'intégrer parfaitement à sa ligne éditoriale, et surtout graphique ! Avec une traduction en italien et coréen pour couronner le tout - normal, c'était une histoire de rois - cela ne commençait pas si mal, me direz-vous.
En effet.

Cela continua même gaillardement quelque temps avec, entre autre, une commande d'un autre grand éditeur pour six histoires à paraître en album collectif, chacune pour la mirifique somme de… 50FF (environ 10 euros).
S'acquitter de son loyer allait s'avérer difficile…
Heureusement il y avait le téléphone rose qui avait déjà payé les cours d'écriture et qui pouvait continuer à dépanner, aussi douteux qu'il soit de combiner récits érotiques pour adultes et contes oniriques pour enfants mais soit, je n'étais pas en position de faire la difficile (se reporter au billet de mauvaise humeur numero uno).

Puis il y eut un album tout de vert illustré alors que je n'aime pas le vert (oui, je sais, j'ai mauvais caractère).
Puis il y eut des textes partout refusés parce qu'ils risquaient de perturber les enfants, comme par exemple celui posant cette question pertinente que tout être normalement constitué, enfants compris, est en droit de se poser « Et pourquoi la terre, elle est ronde ? » et dont la réponse farfelue sur les origines du monde, de l'igloo et de la pizza a… déconcerté (c'est un euphémisme), voire choqué. Ecrire des textes farfelus pour les enfants, mais quelle drôle d'idée en effet !

C'est ensuite que « les choses » ont vraiment pris leur plein essor et offert toute la mesure de leurs mirifiques possibilités. Avec ce très grand éditeur parisien, par exemple, auquel j'avais gentiment demandé de voir les crayonnés avant la mise en couleurs des illustrations, au cas où. Bizarrement, « les choses » ont traîné traîné traîné, jusqu'à ce qu'un beau jour je reçoive les planches couleurs (autant dire que l'album était achevé). Petit souci : le gros méchant monstre que j'avais imaginé était devenu un gentil géant falot dont la seule vision m'a tout bonnement atterrée. Il est ressorti de la discussion avec l'éditrice que mon texte ne devait pas être clair (ah bon, « gros méchant monstre » n'est pas suffisamment parlant, peut-être ?), et que s'il y avait eu « le moindre doute », on m'aurait appelée bien sûr… Aujourd'hui c'était trop tard, on n'allait tout de même pas tout reprendre à zéro pour me faire plaisir et donner du sens à mon texte ! Furieuse de ce manque évident de respect - car c'est toute la « philosophie » de mon  histoire qui en était chamboulée - je n'ai pas hésité longtemps avant de retirer mon récit et d'annuler le contrat, alors que je n'avais même pas de quoi m'acheter une boîte de raviolis dans la semaine qui s'annonçait ! Mon refus m'a valu un appel de la très grande éditrice en chef, choquée, qui n'avait encore jamais vu une telle impertinence de sa vie ! Dans sa très grande maison, on obéit, tellement il est flatteur d'y être édité ! Personnellement, c'est une telle trahison que je n'avais, moi, encore jamais vue de la mienne ! Si j'avais souhaité raconter l'histoire d'un « gentil géant falot », je pense que j'étais parfaitement capable de trouver les trois mots ad hoc pour le signifier… J'en veux pour preuve que lorsque ce texte a été publié, ailleurs, l'on y a parfaitement illustré ce que j'exprimais, et qui n'était franchement pas sorcier ! 
Le croirez-vous, chez le très grand éditeur ils ont recyclé les images - la pauvre illustratrice avait tellement travaillé, n'est-ce pas, et puis surtout on l'avait payée, n'est-ce pas, il fallait donc ren-ta-bi-li-ser - en demandant à un autre auteur d'écrire un texte à partir de ce qui avait été conçu pour illustrer le mien ! On croit rêver. Hélas, vous ne rêvez pas. Et ajouter que le résultat laissait à désirer est un euphémisme… Il va sans dire que cet éditeur n'a plus jamais fait appel à mes services, et j'ai appris par la suite que l'éditrice responsable du projet avait été « remerciée ». Au gentil pays des histoires enchantées, il ne fait pas bon dire non là où tout le monde dit oui, trop heureux de l'insigne honneur qui nous est fait lorsque l'on nous publie une histoire. Une histoire, oui, mais pas à n'importe quel prix (même sans un sou pour des raviolis), voilà ce que moi j'en dis !

J'ai eu encore deux surprises avant de remiser mon stylo bariolé d'auteur jeunesse : avec cet éditeur belge que  certains reconnaîtront, payant avec un lance-pierre (et au forfait !) au prétexte qu'il n'est jamais qu'un petit éditeur sans moyens, n'est-ce pas, versons presque une larme compatissante dans la foulée... Oui, je sais, il ne faut jamais travailler au forfait, mais à l'époque c'était ça ou manger des raviolis (on y revient) pendant un mois, ce qui est un poil lassant.  
Quelques mois plus tard, oh joie, voilà qu'une recherche Google m'apprend que ma collection d'aventures est publiée chez Québec Loisirs (sans défraiement quelconque, forfait oblige), et puis aux quatre coins de l'Europe, ici en lituanien, là-bas en polonais, ou en estonien, ou en serbo-croate et j'en passe (toujours sans défraiement, forfait oblige bis). Quand on aime on ne paie pas, c'est bien ça le proverbe ? Pour avoir traduit des ouvrages publiés chez France Loisirs et avoir encaissé, lors de jours meilleurs, les droits d'auteur conséquents liés à de  grosses ventes, je peux vous affirmer que je me suis solidement fait arnaquer et que le manque à gagner est redoutable et se chiffre en tonnes de boîtes de raviolis !

La palme revient incontestablement à ce même éditeur,  décidemment très audacieux, pour une alerte Google m'annonçant à une autre occasion (très pratique, les alertes Google) que j'étais le bienheureux auteur de deux albums - faisant partie de la même collection, qui avait  sûrement fort bien marché -… auteur de deux albums que je n'avais pas écrits ! (et pour lesquels je n'ai bien sûr jamais été payée, ni en raviolis, ni au forfait). Mon avocat doit s'en occuper.
Reconnaissons que c'est là le faîte de la gloire écrivaine : voir publier des ouvrages que vous vous n'avez pas écrits sous votre nom connu de personne - à part des acheteurs de ladite collection, pour lesquels cela devait offrir une forme de garantie !?
Précisons que chez cet éditeur, summum de la délicatesse, le nom de l'auteur est imprimé en tout petit et au dos de l'ouvrage !
J'en rirais, si cela ne me donnait pas envie de pleurer. 
En attendant, que ceux et celles qui veulent son nom pour éviter de croiser sa fatidique route n'hésitent pas à me contacter !

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