Ton(s)
Le Kunstenfestivaldesarts se veut a-thématique dans sa programmation.
Le premier week-end donne néanmoins souvent un ton, annonce une couleur parfois révélatrice des préoccupations qui animent les créateurs programmés par Christophe Slagmuylder et son équipe.
L'an dernier, la création en ouverture du festival de « The thrill of it all » par les anglais de Forced Entertainment avait placé l'édition 010 sous le prisme du spectaculaire, d'une interrogation sur ses restes, de la mise en scène de soi, d'un rapport aux publics...
Cette année, c'est Richard Maxwell qui ouvrait les festivités vendredi soir dans un Kaaitheater bourré. Sa nouvelle création, « Neutral hero », affiche une ambition plurielle : sociologique, historique, esthétique. Il y est question d'identité américaine. Il y est question de mythes, de récit, de chansons. L'oxymore du titre prend corps par un traitement où règne une étonnante douceur, un apaisement de la prise de parole pour déployer un récit initiatique pourtant violent. Douze acteurs de tous âges sur la scène vide. Une langue scandée. Une apparente absence d'ironie dans le maniement de chansons country aux textes souvent plats, mais belles tout de même grâce à la polyphonie déployée et au lyrisme de l'interprétation.
Le regard est à mi chemin entre celui d'un Frederick Wiseman et celui d'un Robert Altman : l'ancrage dans le réel est fort, la topographie minutieuse est convoquée, on sent la part de critique sociale que ce déploiement charrie mais les personnages ne sont jamais méprisés ni moqués, on sent une affection immense pour leur engagement simple et entier dans leur quotidienneté.
L'extrême précision dans l'acte de mise en scène tout en sobriété impressionne. Les rares instants « dramatiques », où trois des acteurs brisent la logique d'adresse directe au public pour jouer entre eux de courtes scènes charnières, sont puissantes et lumineuses sans que le ton ne soit haussé. Nous voilà positivement troublés, mais jamais vraiment transportés.
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Samedi soir à L'L, le deuxième spectacle vu au KFDA, « El rumor del incendio », procède d'un désir proche de celui de « Neutral hero » et de moyens exactement inverses. La création mexicaine se donne également pour mission de sonder l'identité d'un peuple. Là où une unité de ton, une univocité esthétique forte et assumée structurait « Neutral hero » dans une grande sobriété, c'est ici une théâtralité d'apparence foutraque qui est convoquée sur le plateau de L'L. Si Maxwell tentait d'écrire un récit d'allure mythique, Lagartijas tiradas al sol (la compagnie mexicaine) part ici de l'histoire intime pour écrire l'Histoire. Dans une très grande proximité avec les spectateurs de L'L (disposés justement en L), trois acteurs, un écran, des photos, des vidéos enregistrées, des vidéos live, des masques, des maquettes, des chansons, un poisson rouge, des soldats de plomb, une installation bordélique.
Les trois acteurs ont trente ans à peine. Avec leur batterie de moyens narratifs, avec une fougue communicative, avec inventivité et force, ils entreprennent le récit d'un trajet de vie, celui de Margarita Urías Hermosillo, militante communiste puis guérilléra dans le Mexique des années 60 et 70. Le récit du parcours personnel permet l'évocation d'une multitude d'événements centraux dans l'histoire révolutionnaire mexicaine. Les dates, les lieux, les noms sont restitués avec précision, les épisodes recréés sur scène avec maestria et jubilation. Les trois acteurs endossent tous les rôles, sont d'une redoutable précision, éblouissants de présence, leur acharnement à reconstituer le passé est fort et stimulant et, quand leur histoire personnelle rejoint précisément celle de leur peuple, on est submergé par une émotion rare.
Si, comme nous, les trentenaires mexicains s'interrogent sur l'héritage laissé par la génération 68, sur ce qui reste en nous de capacité de révolte, sur l'influence des générations antérieures sur leur avenir propre, leur amertume n'est toutefois pas exactement la nôtre : chez eux, les soixante-huitards ont pris les armes, connu la répression et la torture ; le poids de l'héritage n'est pas le même. Le regard posé est lucide, dur, beau ; la façon de raconter est intègre, ludique et fraîche. Sur scène, portée par deux impeccables acteurs (Francisco Barreiro et Gabino Rodriguez), Luisa Pardo irradie. On est d'abord bouleversé, embrasé par la franchise, la grâce et la simplicité de son acte, puis totalement enthousiasmé par l'énergie et la justesse de moyens déployés pour nous le faire voir. Un très grand spectacle.
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On peut se moquer gentiment des aspects branchouilles, snob, pseudo-hype du barnum annuel autour du KFDA. N'empêche : nulle part ailleurs dans notre paysage immédiat - et même au-delà - de telles propositions artistiques ne nous sont montrées : le Kunstenfestivaldesarts nous fait accéder à la recherche appliquée de créateurs venus d'ailleurs ignorés, en quête d'eux-mêmes et en pleine possession de leurs moyens. Immense plaisir de spectateur...
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« Neutral Hero », de Richard Maxwell / New-York City Players, dernière représentation au Kaaitheater le 9 mai à 20h30
site de la compagnie : http://www.nycplayers.org
« El Rumor del Incendio », de Lagartijas tiradas al sol, représentations les 8, 10, 11, 12 et 13 mai à 20h30
blog de la compagnie : http://lagartijastiradasalsol.blogspot.com/
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