Réseaux
Puisque j'ai prétendu ici dernièrement partir des spectacles vus pour parler du théâtre, cherchons joyeusement à nous contredire.
L'individu contemporain ne se reconnaissant plus dans les anciennes relations « verticales » (qui le liaient à une idéologie, un dieu, un État-Nation, etc.), il se replie dans le grand élan d'horizontalité de l'époque : l'affirmation de sa personne, de son réel, de son point de vue. Facebook et Twitter, chacun à sa façon, participent à cet élan (comme y participent aussi les blogs, la téléréalité, etc.).
Facebook est un petit village, on s'y épie, on s'y jauge, on cherche à paraître sous son meilleur jour devant ses voisins, on y est poli, on fait gaffe à l'image qu'on y donne.
Twitter est une mégalopole, chacun y est anonyme dans la masse, tout s'y trouve, on y laisse les gens vivre comme ils l'entendent.
Facebook façonne une idée de la relation basée sur la promotion de soi.
Twitter façonne une idée de la relation basée sur le partage de l'information.
Pour exister sur Facebook, il faut se montrer sympa, convivial, marketé.
Pour exister sur Twitter, il faut avoir des choses à dire. Mais peu importe que vous y existiez ou pas. On peut passer des journées entières sur Twitter sans s'y inscrire. On peut s'abonner à des tas de comptes sans jamais rien publier. L'accès à l'information est sans contrepartie aucune.
En urbain convaincu, depuis que je suis accro à Twitter (un peu plus de douze mois), je me demande régulièrement ce que je fous encore sur Facebook.
J'ai vu hier soir « Monde.com (facebook) » de Mokhallad Rasem et j'avais espéré qu'on y parlerait de tout ça. Je me demandais quelles dynamiques scéniques allaient pouvoir se déployer sur ce terrain riche, comment un Irakien vivant en Flandre allait aborder le sujet, si j'allais être bousculé dans ma vision d'internaute et de citoyen.
Mouais. Ben non. Pas bousculé. Du tout du tout du tout.
Au final, la dramaturgie du spectacle se résume plus ou moins à reproduire sur scène un fil d'actualité Facebook, c'est-à-dire un zapping hétéroclite brassant les vies des cinq protagonistes. Ça ressemble à un exercice de style, à un exercice d'école. De l'énergie dans l'utilisation de clichés et c'est à peu près tout. Dommage.
Sur un sujet semblable (la mise en scène de soi), Forced Entertainment m'avait paru l'an dernier aller un cran au-delà dans la réflexion et l'appropriation scénique du sujet, malgré un cynisme parfois dérangeant. Soit.
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Ne crachons pas dans la soupe, cette dernière fausse note ne me fait pas oublier que ce Kunstenfestivaldesarts 011 m'a permis de voir trois excellents spectacles (« El Rumor del incendio», « Ich schau dir in die Augen gesellschaftlicher Verblendungszusammenhang! » et « Yume no shiro»). Même si le niveau général de sa programmation me semble un peu en-dessous de celui de l'an dernier, le KFDA reste un formidable lieu de dépaysement artistique, d'exigence, de rencontres et de partages.
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Reprise de ce blog festivalier aux alentours du 15 juillet, en direct d'Avignon... D'ici-là, vous pouvez me suivre sur Twitter !