traverser
Les antilopes attendaient sagement d'un coté de la rivière. Elles savaient qu'il faudrait à un moment ou l'autre franchir la terrible barrière aquatique pour se rendre sur l'autre rive. Elles ne le savaient que trop bien. Mais elles connaissaient la terrible gueule des crocodiles, avec leurs dents ne s'encombrant pas de pitié, qui les guettaient depuis plusieurs jours et dont l'appétit n'avait d'égal que la patience. Cette morsure-là, qui la désirerait ?
Puis vint le moment où il fallut se jeter à l'eau... Splendide gerbe brune dans le fleuve, sachant que le nombre les protégeait et qu'il faudrait de toutes façons déplorer des pertes pour accéder à la terre promise, les antilopes se frayaient un passage dans cet amas de fragilité, d'angoisse et de sauve-qui-peut. Les crocodiles allaient être récompensés pour leur patiente et cruelle attente. S'approchant avec l'arrogante nonchalance de celui qui se sait vainqueur, il se saisirent des cuisses et des poitrails offerts à leur dantesques gueules. Ils en auraient pour leur argent…
Sur l'autre rive, un hippopotame regardant la scène d'un œil placide se met - comportement inédit s'il en est - à voler à la rescousse d'une antilope en mauvaise posture en chargeant un des crocodiles. Ayant déstabilisé celui-ci de ses deux tonnes en colère, il charge dans son immense mais délicate gueule l'antilope que le crocodile avait emporté dans sa terrible mâchoire et dépose l'animal en état de choc sur l'autre rive. Bien que conscient qu'ils n'ont pas le même gabarit, il tente de lui conférer quelques douceurs mais le museau de l'hippopotame n'est pas très apte à ce genre de caresses. Puis, se rendant compte de l'effronterie de son geste, il regagne ses amis mastodontes, un peu gêné aux entournures.
Il venait d'inventer l'amitié.