Écrire s'apprend comme n'importe quelle discipline artistique. Parmi les formations existantes, les ateliers d'écriture tiennent une place de choix. Lieu d'apprentissage des techniques narratives, d'entraînement, d'ouverture aux regards des autres, d'inspiration, ils se multiplient en Belgique depuis les années 90 et ne cessent de se professionnaliser.
Comment se construit un atelier d'écriture ? Alors que la 26e édition de La langue française en fête bat son plein, se joue des mots et invite à la créativité linguistique, Bela a tendu son micro à l'autrice Eva Kavian, véritable pionnière dans l'animation d'ateliers d'écriture, afin qu'elle nous explique en quoi consiste son métier.
Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours en quelques mots ?
Je suis Eva Kavian. Je suis écrivaine, autrice en littérature jeunesse et adulte. Je publie depuis 20 ans maintenant. J’ai publié 26 bouquins. Simultanément, depuis le début, je fais écrire, j’ai même commencé à faire écrire avant de publier. Au niveau de mon parcours d’écriture, je dirais que j’ai toujours écrit. J’ai commencé à 6 ans avec des petits poèmes et des petites histoires. Au niveau du faire écrire, c’est arrivé aussi très tôt, j’ai fait le lien il n’y a pas longtemps : quand j’avais 10-12 ans, avec les enfants du quartier, j’ai initié un petit journal où on notait des petits potins, des petites annonces, etc. Finalement, j’ai fait des études paramédicales parce que mes parents ne voulaient pas que je fasse des études artistiques. Comme je ne savais ni faire de musique ni faire du dessin, j’ai continué à écrire. J’ai travaillé 5 ans en hôpital psychiatrique où j’étais amenée à réaliser des activités avec des patients. J’écrivais, l’idée de proposer des ateliers d’écriture est venue naturellement. Quand j’ai quitté l’hôpital, je suis tombée sur un bouquin qui référençait les différents ateliers d’écriture en France. J’ai alors suivi une formation assez courte chez Élisabeth Bing et me suis lancée. À l’époque, j’étais la première à gagner ma vie grâce aux ateliers d’écriture et à travailler à temps plein dans ce secteur.
Quelle est la spécificité des ateliers d’écriture que vous animez ?
Ce sont des ateliers littéraires, c’est-à-dire que l’on se concentre sur le travail de la forme, du style, de la construction d’une histoire. Ils s’adressent actuellement à un public adulte et sont organisés en plusieurs niveaux, du débutant au romancier confirmé. Au niveau 1, on pose les bases en donnant des outils pour savoir comment faire un dialogue, comment construire un personnage, etc. Ces outils sont expérimentés, dans l’écriture même et non « enseignés ». Au niveau 2 (écriture de nouvelles), on s’éloigne de l’approche technique, on travaille davantage son propre style dans une écriture plus longue et plus autonome. Au niveau 3, on attaque la trame narrative (les outils de la narration). Et le niveau 4, on se lance dans l’écriture romanesque. J’anime ces ateliers d’écriture au sein de l’association Aganippé que j’ai créée en 1994. Les différentes formules d’ateliers sont apparues au fil du temps grâce à l’engouement des participants. C’est parce que des gens voulaient continuer avec moi que j’ai diversifié l’offre. Pour les faire avancer, j’étais obligée d’être toujours un peu avant eux. Ça m’a énormément apporté. À côté de ça, je donne aussi des formations pour de futurs animateurs. Il y est question d’éthique, de méthodologie (comment dynamiser la créativité, comment faire travailler un objectif par une proposition d’écriture), chacun y élabore son propre atelier et, à partir d’exercices pratiques, de jeux de rôle, on aborde également la question des commentaires sur les textes (parler vrai, ne pas blesser, donner des outils de lecture et des pistes de re travail, tout en respectant l’écriture de chacun). L’idée n’est pas d’enseigner, mais d’animer, cela demande des compétences particulières.
Quelles sont les différentes formules d’ateliers que vous proposez ?
Je fais principalement des ateliers annuels à raison d’un jour par mois afin d’inscrire la démarche d’écriture dans la durée. Je propose aussi des stages d’été. Plus récemment, j’ai lancé le projet « Carnet de notes, pistes d’écriture » qui s’éloigne un peu de l’atelier d’écriture classique. Le concept consiste à recevoir par la poste 2 fois par mois une jolie enveloppe dans laquelle il y a une série de petits papiers qui sont des incitants pour écrire. On peut s’abonner pendant 1 mois, 6 mois ou 1 an. Un exemple de petit papier serait de raconter ce qui suscite chez soi l’attendrissement sans mettre le mot « attendrissement », en racontant les faits comme si on les filmait avec une caméra. En faisant ça, je reste dans mon éthique du « faire écrire », je dynamise l’écriture des autres sans imposer mes idées, je leur donne un outil pour avancer à leur rythme, s’exercer et corriger certains tics d’écriture. C’est en même temps un rendez-vous avec soi-même où on écrit à partir de son vécu, sans pour autant s’étaler dans un « blabla narcissique ».
Quelle qualité primordiale faut-il avoir pour se lancer dans ce secteur ?
Il faut éviter de partir avec l’impression que l’on sait et arriver avec une sorte de savoir à transmettre. Au fond, qu’est-ce qu’un bon style ou un bon roman, la réponse est multiple. Chaque participant à un atelier a le droit d’être respecté dans son écriture, dans son style. Être dans le respect de l’écriture de l’autre est vraiment une qualité indispensable pour animer. Avoir soi-même beaucoup de créativité n’est pas négligeable pour dynamiser la créativité des autres. Écrire pour son propre compte enrichit aussi l’animation d’atelier. Je fais écrire les gens parce que j’ai aussi observé mon processus créatif et c’est à partir de là que je peux leur faire des propositions d’écriture qui ne viennent pas d’un livre de recettes de cuisine.
Comment construisez-vous votre expertise ?
C’est vraiment une formation sans fin, qui est majoritairement autodidacte. Quand j’ai commencé, dans les années 90, je ne trouvais pas mon compte dans les quelques ateliers et la formation que j’ai suivis, ils étaient décevants, j’attendais plus d’un atelier d’écriture, et je pense que (sans prétention aucune) cette « déception/désillusion » m’a aidée à construire des ateliers auxquels je voulais participer. Ma formation en psychanalyse et ma formation en dynamique de groupe m’ont bien servi pour le travail d’animation d’atelier d’écriture. Certains livres m’ont également beaucoup nourrie. Je pense à Écriture, mémoire d’un métier de Stephen King, Story de Robert MacKee, tous les volumes d’Yves Lavandier. En littérature francophone, il existe très peu de livres sur la manière dont on construit une histoire, une tension dramatique, un fossé narratif. Toutes ces techniques d’écriture, je les ai apprises surtout dans le monde du cinéma et auprès d’auteurs anglo-saxons.
Ces ateliers influencent-ils votre activité artistique ?
C’est plutôt le contraire. Mon travail n’influence pas mon travail personnel d’écriture. Ce sont des cases très différentes dans mon cerveau. En atelier, je suis au service de l’écriture des autres, pendant que j’anime, je ne suis pas en contact avec mon écriture. Mais il se peut que, pendant que j’écris pour moi, j’ai une idée pour un atelier. Ce qui est sûr est que ma propre pratique me permet de parler de manière tangible et concrète de certains aspects de l’écriture, sans les théoriser puisque c’est du vécu. En tant que lectrice, il m’arrive de repérer une structure qui me paraît intéressante dans un livre et d’en faire une proposition d’écriture pour un atelier.
Comment se fait-on connaître ?
Pour certains écrivains qui animent des ateliers, l’information va circuler via leur réseau de lecteurs ou leur page Facebook. Leur visibilité d’auteur va attirer certains participants. D’autres animateurs vont s’accrocher à un centre culturel, développer leur petite structure, ou le faire de manière indépendante. Toutes les formules existent. Pour la plupart, cela reste une activité secondaire. Personnellement, c’est devenu mon activité principale par la force des choses, cela change beaucoup, plus on en fait, plus on est expérimenté. L’ancienneté joue aussi beaucoup dans ma visibilité. J’ai été dans les premières à lancer des ateliers, cela implique que l’on parle de moi depuis longtemps dans ce secteur-là, ce n’est pas uniquement l’expérience. Je n’ai pas créé mon asbl pour avoir plus de visibilité, je l’ai fait au départ pour avoir un cadre juridique. Quand on gagne de l’argent pour une activité, il faut que cela puisse passer par un statut quel qu’il soit, l’asbl était quelque chose de souple et facile pour ça. Je pouvais encore être indépendante, salariée, à la tâche, etc.
Un réseau/répertoire d’expert.es devrait-il être mis sur pied pour accroître la visibilité de ce secteur d’activité ?
C’était l’une des missions du réseau Kalame. Au départ, l’idée était de recenser les ateliers et les animateurs existants, de proposer une formation continue et de se faire connaître auprès du public. Un répertoire a été créé à cette occasion, qui n’est aujourd’hui plus actualisé. Je trouve que ce répertoire était une fausse bonne idée. On y rassemblait tous ceux qui pratiquaient l’animation d’ateliers d’écriture sans être en mesure d’y repérer ceux qui avaient le plus de compétences ou d’expérience. Pour le public, cela restait compliqué de savoir quel animateur allait le mieux lui correspondre et lui apporter ce qui lui fallait. Et en même temps qui étions-nous pour dire celui-là est mieux qu’un autre. C’est une question très complexe. Je ne sais pas s’il faut créer une instance centralisatrice qui risquerait de passer à côté de certains animateurs qui sont excellents et qui mettrait en lumière d’autres qui ne font pas des ateliers de qualité. La reconnaissance et la réputation, c’est quelque chose qui se construit petit à petit. Je suis dans ce respect du temps parce que l’écriture c’est ça aussi, il faut respecter le temps de connaître nos outils, de déployer notre style, de laisser advenir une nouvelle ou un roman et puis qu’il fasse son chemin auprès du public comme il doit le faire. Le bouche-à-oreille des participants satisfaits fonctionne bien.
Quel conseil donneriez-vous à un.e auteur.rice qui voudrait se lancer comme animateur.rice d’atelier ?
De réfléchir à leur motivation (le pourquoi avant le comment) et au public qu’ils souhaitent toucher. Il n’y a en soi pas de mauvaise raison, si un auteur veut gagner plus d’argent car il ne perçoit pas grand-chose avec ses droits d’auteur, c’est aussi une bonne raison, ça ne veut pas dire qu’il va le faire mal. Suivre une formation de quelques jours qui va élargir son chemin d’autodidacte. L’auteur qui veut faire écrire a déjà son bagage de lecture et d’écriture, qui nourrira son atelier. Pour la part méthodologique et pour connaître les outils qui peuvent dynamiser la créativité des autres, je trouve que cela vaut la peine de suivre une formation (de qualité !). Mais à mon sens, afin de maintenir la diversité des ateliers, afin de professionnaliser le secteur et de l’enrichir, la formation autodidacte, infinie, est indispensable.