Métiers du spectacle vivant : Hervé d'Otreppe - Directeur adjoint du théâtre des Doms

Publié le  01.08.2013

Le théâtre des Doms, la Vitrine Sud de la Création contemporaine en Belgique francophone, a deux têtes. Enfin, bien plus que ça. C’est toute une équipe qu’on voit bourdonner là, pendant le festival. , plus précisément : dans la cour, entre les deux escaliers, derrière les comptoirs du bar et du restaurant, allant et venant, descendant et montant, des bureaux à la cour, de la salle de spectacle aux bureaux ou à la billetterie… C’est un peu une ruche, un peu un paquebot, un peu une niche, un peu un nid (pour les Belges et leurs amis qui se donnent rendez-vous là-bas)(c’est très pratique pour retrouver tout le monde). Les deux têtes du théâtre donc, ce sont Isabelle Jans à la direction générale et Hervé d’Otreppe, directeur adjoint et chargé de relations publiques. Dans le binôme, j’ai demandé à Hervé de m’expliquer quel est son rôle dans la grande famille des métiers du spectacle vivant. On dit que je fais un métier bizarre, m’a-t-il dit. Le bizarre c’est ce qu’on ne connaît pas bien. C’est chouette aussi, le bizarre, en même temps.

 

Parle-moi de ton métier: que fais-tu ici, à Avignon ?

Je suis directeur adjoint du théâtre des Doms. Je suis à Avignon en juillet, bien sûr, mais aussi une semaine par mois durant l’année. Seulement une semaine par mois parce que, dans ce que nous avons mis en place avec Isabelle [Jans] comme système de direction à deux, j’assume plutôt la présence en Belgique. Puisque nous sommes une vitrine de ce qui se fait en Belgique francophone, ça n’aurait pas de sens que nous passions tous les deux toute notre vie à Avignon.

 

Donc, vous ne voyez pas chacun la moitié des spectacles d’une saison en Belgique ?

Non, Isabelle assume la direction générale du théâtre et donc a une plus grande présence ici, à Avignon, pour la direction générale, administrative mais aussi du personnel. Elle assure aussi les contacts suivis avec les partenaires que nous avons ici. Elle se trouve deux tiers temps à Avignon, où elle habite, et un tiers temps en Belgique. Moi, j’habite en Belgique et je suis à Avignon un quart temps.

 

En quoi consiste ton métier pendant le festival d’Avignon, plus particulièrement ?

Pendant le festival d’Avignon, je suis vraiment inclus dans l’équipe. Mais mon attention est particulière sur la question de la diffusion. Dans ce que nous avons mis en place avec Isabelle, si nous avons décidé de faire ça à nous deux et avec moi, c’est parce que, à force de l’avoir pratiquée, je suis devenu spécialiste de la diffusion. Donc, au-delà du fait d’assumer avec elle la représentation du théâtre et toute une série de fonctions, que nous assurons l’un ou l’autre selon les disponibilités, je suis plus attentif à la question de la diffusion. Ça veut dire, d’une part, accompagner les compagnies dans les questions de diffusion et particulièrement leur chargé de diffusion (comment les accueille-t-on, s’ils se posent des questions, regarder avec eux la liste des professionnels qui sont venus, voir si ça se passe bien, rediscuter l’accueil, etc…) C’est une fonction que j’ai déjà commencé à assumer depuis le mois de mars – avril, à partir du moment où les compagnies sont choisies, puisque dès ce moment-là, je suis à leur disposition pour envisager la manière dont ça va se passer. Pendant le festival, il y a cette fonction-là donc et, d’autre part, celle de l’accueil des professionnels. Je me tiens de manière régulière dans la cour pour les accueillir. J’en connais pas mal depuis 20 ans que je pratique ce métier. Contrairement à une série de théâtres où il y a une accumulation de locataires qui viennent chacun défendre leur marchandise, nous sommes une maison où il y a eu un choix, une politique artistique. On le défend. Et puis, les programmateurs français qui viennent au théâtre des Doms sont intéressés, très curieux de ce qu’on fait. Ils apprécient nos spectacles d’ailleurs mais souvent n’en connaissent ni l’auteur, ni la compagnie, ni la mise en scène. Nous les guidons dans la programmation d’une manière pointue: on ne leur dit pas d’aller tout voir parce que c’est chouette. On sait bien qu’ils n’iront pas tout voir. Chaque programmateur voit en moyenne deux spectacles. J’essaie de les guider d’après ce que je sais d’eux, ou en les interrogeant, vers ce qui correspond le plus à ce qu’ils cherchent.

 

Combien de programmateurs viennent aux Doms sur la durée du festival ?

Chez nous, tous spectacles confondus – ça veut dire : les spectacles joués ici aux Doms, le spectacle  au cirque à Midi-Pyrénées et le spectacle aux Hivernales – on approche le millier de programmateurs différents. Comme ils viennent en moyenne deux fois, on a environ deux mille entrées de professionnels. Quand je dis « programmateurs », c’est plus large en vérité, c’est plutôt des professionnels: il y a là-dedans des gens de la presse, et puis des gens qui ne sont pas vraiment des programmateurs, mais le OFF a renforcé son tri ces dernières années, et donc nous avons beaucoup moins de faux programmateurs qu’il y en avait il y a quinze ans.

 

Tu me disais que ce sont des gens que tu connais… À quoi ressemble ton parcours ?

J’ai été programmateur pendant sept ans. À partir des années 90, j’ai travaillé d’abord dans une grosse agence belge qui diffusait jusqu’à une vingtaine de compagnies de théâtre francophone, belges et françaises, un peu de québecoises. C’est avec eux que j’ai commencé à venir à Avignon, en 91, pour la première fois. Et puis, à partir de 98, j’ai continué à travailler ponctuellement pour cette agence et je me suis mis en partie à mon compte et en partie comme chargé de diffusion d’une compagnie de théâtre jeune public d’abord, de compagnies de théâtre adulte après. Donc, je m’occupe de diffusion depuis 91, particulièrement dans le domaine du théâtre. Diffusion, ça commence par faire connaître des compagnies à des professionnels, les inviter à voir les spectacles et puis organiser des dîners, négocier des contrats. Je me suis spécialisé. Je suis venu en 2002 aux Doms avec Tout ça du vent de Philippe Grand’Henry, mis en scène par Françoise Bloch, dont j’assurais la diffusion. À l’époque, Philippe [Grombeer] et Isabelle, dont c’était la première année à Avignon, ne connaissant pas Avignon et constatant que j’avais onze ans d’Avignon derrière moi, m’ont demandé si je pouvais revenir l’année d’après pour faire partie de l’équipe pendant le festival et m’occuper de l’accueil des professionnels.

 

C’est donc un métier qu’on apprend sur le tas, il n’y pas de formation à la diffusion de spectacles ?

Non, j’ai appris dans cette agence, Promotion des Arts de la Scène. Elle était dirigée par André-Marie Lomba. C’est avec lui que j’ai appris le métier. Il n’y a toujours pas d’école. Une formation existe à l’I.A.D en production-diffusion, c’est un certificat complémentaire qu’on a ouvert pour les personnes qui ont déjà un diplôme d’études supérieures ou qui justifient d’une formation professionnelle. J’y donne un cours de diffusion. Mais sinon, ça s’apprend sur le tas. C’est un problème, d’ailleurs, on manque de personnes dans ce métier qui n’est pas facile, parfois un peu ingrat, assez passionnant, mais peu de gens le font et encore moins de gens le font longtemps, alors qu’on en a de plus en plus besoin. Diffuser devient complexe. C’est pour ça que dans le même cadre, avec Isabelle, nous avons décidé – conséquence de ma présence – de renforcer l’accompagnement à la diffusion. Avant le festival, comme je l’ai dit, pendant, et après. Je vois chaque compagnie une fois à peu près tous les mois pour, non pas prendre en charge la diffusion, mais définir avec eux une stratégie par rapport à tout ce qu’ils ont eu comme contacts ici: comment s’y prennent-ils, comment abordent-ils, quel genre de courrier faire, je les aide à la rédaction etc. Nous faisons ça aussi pour la dizaine de compagnies qui viennent en résidence ici par an. Nous réfléchissons avec eux aux questions de diffusion, même parfois sur des spectacles qui n’existent pas encore du tout, parce qu’il est vraiment important de penser à la diffusion très tôt.

 

C’est l’impression que renvoient les compagnies… Ils disent se sentir vraiment pris en charge ici, presque protégés. J’ai l’impression que le volet diffusion joue énormément dans ce sentiment-là et que ce que font les Doms en matière d’accompagnement des compagnies est assez unique, non ?

La mission de diffusion des Doms est dans ses statuts. Ce n’est pas un machin qui est apparu comme ça comme étant sympathique. Je pense que la volonté, dès le départ, quand Hervé Hasquin a décidé avec Rudy Demotte d’acheter le théâtre des Doms pour y installer une vitrine du spectacle vivant en Belgique francophone, était orientée dans un souci de diffusion. Je pense que c’était ça, la vraie motivation. Hasquin avait déjà été sensibilisé à cette nécessité. C’est aussi un lieu de résidence, c’est un lieu de contact, il y a une intégration dans la ville, dans la région et dans le département… Certes. Mais c’est un lieu de diffusion. Nous misons donc fortement là-dessus. Plusieurs autres lieux en sont conscients, mais beaucoup donnent dans l’accumulation de spectacles. Nous avons établi un contact approfondi il n’y a pas longtemps avec le lieu de la région Champagne-Ardenne, la Caserne des pompiers. Le lieu ne leur appartient pas mais ils louent sur Avignon depuis vingt ans. Ils ont mis en place cette année un accompagnement à la diffusion de chacune des compagnies en engageant un expert. Ils fonctionnent à peu près comme nous.

 

Le bilan est assez positif sur la diffusion, non? Les spectacles des Doms tournent en général pas mal. Peux-tu dresser un rapide bilan depuis le début ?

Oui, c’est vrai, les spectacles tournent en général assez bien. Mais ce n’est pas automatique. Il faut savoir que ça demande vraiment un boulot. Ça ne demande pas de harceler le client potentiel, ce n’est pas la question, mais ça demande un vrai suivi, une organisation. Il faut avoir des documents à la hauteur, être présent quand il faut, pas trop, pas trop peu. Les résultats sont à la mesure, d’ordinaire, de la rencontre entre la personnalité du spectacle (son originalité, ce qu’il amène, que d’autres n’amènent pas) et des besoins que le programmateur a de défendre ça. C’est cette rencontre-là qui doit avoir lieu. On ne peut pas dire qu’un bon spectacle se diffuse et qu’un mauvais ne se diffuse pas, c’est plus compliqué que ça. Ceci dit, les dernières années, la diffusion devient plus ardue, parce qu’il y a moins de programmation au niveau théâtre dans les lieux, parce que les régions ont tendance à se refermer sur elles-mêmes, parce qu’il y a des exigences des compagnies locales, qui disent: mais commencez par nous programmer nous, plutôt que d’acheter des Parisiens ou même des Belges… On n’a plus les mêmes résultats qu’il y a cinq-six ans, c’est clair. On le sent bien.

 

Et concernant cette édition-ci, peux-tu faire un topo ?

C’est trop tôt, on a le sentiment – ou plutôt: la certitude, maintenant – que la fréquentation est en baisse. Partout. Chez nous aussi. Au niveau des professionnels, on n’a pas encore de chiffres. Chaque compagnie encode puis on met les relevés ensemble. Je ne saurai que le dernier jour où on en est. Pas exclu qu’il y en ait moins aussi. Mais de toute façon, avec les effets de la crise des subventions, l’argent dont les gens disposent, la manière dont ils organisent dorénavant leurs loisirs, je ne vois pas pourquoi ça n’aurait aucune conséquence sur le festival d’Avignon, qui est coûteux pour le spectateur et qui, en plus, tourne un peu la tête, tellement il y a de spectacles. Le nombre de spectacles augmente chaque année, donc je suppose (et je les comprends) qu’ils préfèrent aller dans un festival où il y a eu un choix plutôt que dans un festival un peu aventureux. Ceci dit, il reste du monde. Notre fréquentation a baissé mais ce n’est pas le désastre. Ça a baissé sur tout le festival, il semblerait même qu’au niveau des restaurateurs, la baisse se ressente aussi. Il n’y a finalement que le IN qui s’en sort avec une augmentation de fréquentation.

 

interview réalisée le 25 juillet 2013.

http://www.lesdoms.be/

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