Rencontre avec Fabienne Blanchut, l’art de raconter pour les enfants

Publié le  15.11.2024

La littérature jeunesse belge regorge de trésors, et nombreux·se·s sont les auteur·rice·s qui, depuis des années, invitent les jeunes lecteur·rice·s à des aventures captivantes, teintées de découvertes et de réflexions. Engagée, imaginative et vibrante, la littérature belge se déploie dans une riche diversité de styles et de thématiques, allant des contes illustrés pour les tout-petits aux romans graphiques pour adolescent·e·s. En Belgique, des créateurs et créatrices talentueux·ses explorent ce territoire avec passion et innovation, participant à faire vivre et rayonner cette littérature dans le monde francophone et bien au-delà.

Parmi ces voix marquantes, Fabienne Blanchut sort du lot. Autrice prolifique et formatrice inspirante à la Belacadémie, Fabienne a réussi conquérir le cœur de nombreux enfants et adolescent·e·s avec des histoires aussi drôles que bienveillantes.  Menant depuis 20 ans en parallèle une carrière à la télévision et en littérature, Fabienne compte à ce jour, 160 titres à son actif, dont la série à succès " Zoé Princesse Parfaite ". Aujourd'hui, publiée depuis 20 ans, Fabienne s’impose comme une référence dans le domaine.

Dans cette interview réalisée dans le cadre de l’initiative " Lisez-vous le belge ? ", une campagne coordonnée par le PILEn qui cherche à visibiliser le livre belge francophone, ses acteurs et ses actrices auprès du grand public, Fabienne Blanchut partage son parcours inspirant, ses réflexions sur l’écriture pour la jeunesse et ses conseils aux futur·e·s auteur·rice·s. Elle nous entraîne dans les coulisses de son processus créatif, abordant ses inspirations, ses collaborations et l’équilibre essentiel qu’elle maintient entre son activité littéraire et sa vie personnelle. Une rencontre authentique avec une autrice qui, par la force de ses mots et de ses histoires, laisse une empreinte durable sur la scène littéraire jeunesse belge.

Pouvez-vous nous parler de votre cheminement vers l’écriture ? Quels ont été les moments ou rencontres marquants qui vous ont conduite à devenir autrice ?

" Alors que je travaillais à TF1, j’ai commencé à écrire des concepts d’émissions pour la télé. Certains ont été retenus. Ma co-conceptrice, qui est aussi la personne avec qui je vis, a alors écrit son premier roman qui a été publié par Gallimard dans la prestigieuse collection Blanche. Ce milieu (littéraire) que je ne connaissais pas m’a d’abord intrigué, puis il a attisé ma curiosité à travers ce qu’elle expérimentait. L’aventure me tentait bien mais je ne voulais pas travailler seule. La littérature jeunesse m’a semblé être le bon compromis.

J’en ai parlé à mon frère qui se souvenait d’une anecdote de me concernant. J’avais 10 ans et, à l’époque, on écrivait des rédactions en classe. Un jour, l’instituteur a dit : " J’ai entre les mains, une histoire que j’aimerais lire à haute voix " . C’était mon texte : une histoire d’extra-terrestre qui débarquait sur la Terre. La dernière scène, il remontait dans sa soucoupe volante en agitant un mouchoir rouge à carreaux pour dire au revoir. » Évidemment, j’ai reconnu mes mots et me suis mise à rougir. J’avais peur de la réaction de mes camarades. Quand, il a eu fini sa lecture, j’ai été applaudie. J’ai compris à 10 ans l’importance des histoires et la force des mots. C’est donc mon frère qui m’a fait rencontrer  une de ses amies Camille Bernard, qui sortait de l’école Emile Cohl à Lyon. Elle a été ma toute première illustratrice. Celle avec qui je collabore encore aujourd'hui sur notre série best-seller " Zoé Princesse Parfaite " mais pas que. Ensemble nous avons signé 75 titres de mémoire. "

 

Quelle est votre approche pour démarrer un nouveau projet ? Comment trouvez-vous l'inspiration pour des histoires destinées aux enfants et adolescent.e.s ?

" J’ai une imagination très fertile. Je suis curieuse et me nourris de tout : séries, films cinéma, lectures. Mes idées se déclenchent assez vite et je sais tout de suite si elles méritent d’être développées ou pas. Après, je reçois aussi beaucoup de "commandes" . Des éditeur.trice.s viennent à moi en me demandant si ça m’intéresse d’écrire sur tel ou tel sujet. Parfois oui, alors je fonce. Parfois non, alors j’ai la chance de pouvoir décliner. "

 

 Selon vous, quels sont les défis spécifiques de l'écriture pour les jeunes lecteur.ice.s, et quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer dans ce genre ?

" En jeunesse, il convient toujours d’avoir bien en tête à quelle cible on s’adresse. Le public jeune est large et on ne lit pas la même chose à 1 an qu’à 18 ans ! Et pourtant, on vous classera en auteurs jeunesse !!! Ensuite, les acheteur·euse·s – généralement les adultes – peuvent avoir des attentes sur ce que va apporter le livre à l’enfant.

Mon conseil, si on se lance, est triple :

1/ allez voir ce qui se fait en librairie ;

2/ achetez et lisez de la jeunesse (souvent bien meilleur que la littérature générale) ;

3/ diversifiez-vous, sinon, vous n’en vivrez jamais ! "

 

Dans vos œuvres pour enfants, comment parvenez-vous à transmettre des valeurs importantes sans en faire des " leçons de morale "?

" L’humour. C’est la clé de tout ! Les enfants le comprennent très bien. "

 

Vous avez travaillé avec plusieurs éditeur.ice.s et illustrateur.ice.s. Comment se déroule la collaboration dans ces cas-là ? Avez-vous des conseils pour construire de bonnes relations professionnelles dans le milieu de l’édition ?

" Le monde de l’édition, c’est une micro-société. Vous travaillez donc avec des gens sympathiques, ronchons, agréables, stressants, gentils, bienveillants, de mauvaise foi, brillants… Je dirais juste qu’il convient d’essayer de ne se fâcher avec personne quand on se « sépare ». La vie nous remet parfois en contact des années plus tard. Et chacun a pu changer ou évoluer dans son travail ou dans son fonctionnement. Il serait dommage de passer à côté d’une opportunité et une collaboration. Après, n’oubliez pas que cela reste avant tout une relation de travail qui s’intègre dans un système économique. Tant que ça marche, vous êtes sollicités, quand ça ne fonctionne plus, on s’intéresse moins à vous. C’est toute la difficulté pour les artistes qui s’identifient à 100% dans leur travail. Un rejet sur un projet, c’est comme si on nous rejetait nous… Il faut se protéger de cela, du mieux possible pour ne pas trop souffrir. "

 

Selon vous, comment l’industrie de l’édition jeunesse a-t-elle évolué depuis vos débuts ? Quelles opportunités et quels défis observez-vous aujourd’hui ?

" Évolué, je ne sais pas mais naturellement l’industrie de l’édition jeunesse a changé.  Dans mon enfance (je suis née en 1974) , la « littérature adolescente n’existait pas. Ça, c’est le premier point. Il y avait des livres pour les enfants et des livres pour les adultes. À partir du collège, la bascule se faisait et les adolescent.e.s lisaient des romans pour les adultes. 

Quand je me suis mise à écrire et à être publiée en 2005, nous étions moins nombreux à écrire pour la jeunesse qu’aujourd'hui. mais il fallait peut-être plus de « volonté ». On devait imprimer nos books, les envoyer ou les déposer dans les maisons, rencontrer les gens, se confronter à leurs critiques. Aujourd"hui, beaucoup de choses passent par les réseaux (contact, projets qui se mettent en place). Cela peut être grisant mais ne remplacera jamais une discussion en face à face. 

Depuis deux ans, par exemple, je travaille avec des éditeur.trice.s que je n’ai jamais rencontrés en vrai. C’est étrange même si cela se passe très bien. Je suis " so 20e siècle " !  "

 

La visibilité est essentielle pour les auteur·trices aujourd'hui. Quelles stratégies ou démarches ont été les plus efficaces pour promouvoir vos livres et rencontrer votre public ?

" On sait qu’en jeunesse, il y a très peu voire pas de budget pour la promo. Quand j’ai commencé chez Fleurus, on m’a juste dit : " On verra si ça prend, nous on n’envoie plus aucun titre aux journalistes. Ils ne lisent pas et les revendent dans des librairies de seconde main. " J’avais peu d’espoir. J’ai eu tort. " Zoé Princesse Parfaite " a été un carton. Environ 500.000 ex en 1 an. Je n’ai compris que bien plus tard que c’était énorme…  "

" Aujourd'hui, on demande à un auteur d’être le VRP de son livre mais ça, c’est le boulot des attachés de presse !! C’est donc un défi de chaque instant de poster sur Insta, d’avoir un site à jour, d’avoir une actualité. J’encourage les jeunes artistes à suivre une formation pour apprendre à maîtriser les tenants et les aboutissants. 

Tout va vite et on ne laisse souvent pas le temps aux livres de s’installer (car il y en a au moins 200 chaque semaine qui sortent). Comment rester sur les tables des libraires ? Comment tirer son épingle du jeu ? C’est sans doute de plus en plus compliquer de faire des best-sellers aujourd'hui. même si les RS peuvent aider. Mais n’oubliez jamais en jeunesse que votre " public " n’est pas sur Internet et ce n’est pas lui qui achète. C’est en rencontrant les enfants (salons, bibliothèques, médiathèques, cercles de lecture, animations scolaires… ) que vous allez vous faire connaître, pas en restant devant un écran d’ordi. Ce qui compte en vrai, c’est de durer ! Pas de faire un coup éditorial et de disparaître. Ou alors, c’est que ce métier n’est pas vraiment fait pour vous "

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui aspire à devenir auteur·rice, notamment dans la littérature jeunesse ? Y a-t-il des erreurs que vous avez apprises avec le temps et que vous aimeriez leur éviter ?

" J’ai fait tout plein d’erreurs et je continue d’en faire sans doute. 

L’échec est un diplôme. Il faut se tromper pour apprendre sa leçon. Mes conseils sont :

1/ de ne pas se précipiter pour signer un contrat ; 

2/ d’essayer d’entrer dans de " grandes maisons ", par "grandes maisons " j’entends des maisons d’édition qui ont un bon réseau de distribution. Vous pouvez écrire le meilleur des livres, s’il n’est pas en librairies, c’est compliqué pour votre " public " de le découvrir ; 

3/ d’être patient et fort dans sa tête. C’est un milieu difficile mais il y a de la place pour tous les talents ; "

 

Écrire est souvent un travail solitaire. Comment restez-vous motivée et trouvez-vous l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle ?

" Je n’ai jamais cessé de travailler en dehors de la littérature, à la télévision, en programmation et en production. On ne sait jamais de quoi demain sera fait dans ce milieu. En 2024, je n’ai eu "que " 5 livres qui sont sortis dans 3 maisons. En 2025, j’en aurai 17 dans 8 maisons. En 2026, je ne sais pas encore… 

À titre personnel, j’ai besoin de me sentir en sécurité (financière) pour créer.

D’avoir une rentrée d’argent autre que l’écriture. Cela me permet une grande liberté par rapport aux projets. Je peux dire " NON " !

J’ai aussi toujours dit que si je n’avais plus la motivation, j’arrêterais. Ma force, je crois, c’est de ne pas me forcer. J’ai plein de copains en panique à cause des délais à tenir parce qu’ils ont reçu des à-valoir. Moi, je ne signe mes contrats que quand j’ai déjà au moins la ½ d’un roman écrit. Parce que je sais que j’irai au bout. Avant, et malgré ma longue expérience (carrière), je ne suis jamais certaine. Et ce n’est pas une posture, c’est un fait !

Enfin j’ai la chance, car pour moi c’est une chance, de vivre avec une romancière-scénariste. Nous échangeons beaucoup. C’est tellement simple d’être avec elle, de ne pas avoir à lui expliquer que je dois travailler un jour férié, que mon cerveau ne se débranche pas les week-ends et que si je bloque sur une formulation, un personnage, elle peut m’aider. 

Mon équilibre, je le trouve donc entre la télévision et la littérature, je me ressource en voyageant et nous avons deux chats (Dolly et Marcello) qui sont les parfaits compagnons des écrivains ! "

 

Pouvez-vous nous donner un aperçu de vos projets à venir ? Y a-t-il des sujets ou des thématiques que vous aimeriez encore explorer ?

" 2025, ça va être une année, où je vais beaucoup communiquer sur mes sorties (17 programmées !) et rencontrer mes lecteurs. J’ai déjà tout plein de salons de caler. 

Il y aura des suites de séries mais aussi des nouvelles collaborations ( illustrateurs, éditeurs) et pour tous les goûts : album tout-petits, album illustré, premières lectures, roman 10 ans, romans ados, romans graphiques… J’ai hâte. 

Enfin, concernant des sujets à explorer, je suis sur un roman pour 2026, que je signerai sous pseudo. Une idée a jailli qui m’a emmenée sur un genre que je n’ai jamais explorer. Je n’en dirai pas plus. "

 

Pour prolonger cette rencontre littéraire, nous vous invitons à explorer son univers et à découvrir ses livres sur son site officiel : FABIENNE BLANCHUT – Auteur Jeunesse

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