Résidences/Récits d'encre - Alain Cofino Gomez

Publié le  27.07.2012

Dans le cadre de Résidences/Récits d’encre, Bela a interviewé Alain Cofino Gomez sur son expérience de la Chartreuse, mais aussi sur son écriture, sa manière de travailler, son métier d’auteur…

 

Quelle est pour toi l’image, le détail, le symbole, qui évoque ton séjour à la Chartreuse et pourquoi ?

L’espèce de fontaine qu’il y a sur une des cours intérieure. Parce que tout le lieu, symboliquement , me fait penser à un havre. C’est le puits, l’endroit où on se retrouve. J’ai rencontré pas mal d’amis auteurs là, autour de ce puits. L’eau, la source, tout ça, ça me parle.

T’a-t-on proposé de venir à la Chartreuse ou en as-tu fait la demande ?

Si je m’en souviens bien, j’ai fait la demande mais avec derrière tout le monde qui disait Bon, il faut y aller !. C’était il y a dix ans et, à l’époque, c’était une espèce de passage obligé. Comme une façon de vérifier son état d’auteur. Il fallait passer par la Chartreuse. Donc voilà, je l’ai fait mais pas très consciemment, sans savoir exactement pourquoi je le faisais. J’ai fait une demande mais c’était poussé aussi par tout l’univers.

Tu n’as donc pas cherché un espace-temps particulier, propice à l’écriture ?

En fait je ne savais pas ce que je venais chercher. Je savais que je venais à la Chartreuse, c’était là qu’allaient les auteurs, donc finalement, je m’y suis retrouvé. Mais je ne venais pas chercher quelque chose, non. D’ailleurs, ça s’est confirmé par la suite.

Combien de temps es-tu resté à la Chartreuse?

A peu près deux mois, sur deux périodes, en hiver.

Il faut rendre une ébauche de projet avant de pouvoir faire une résidence. Quelle était-elle ?

Je crois que ce que j’avais proposé comme ébauche, finalement il ne lui est rien arrivé. Je n’ai pas écrit ce que j’avais proposé comme travail. Il me semble que j’avais proposé deux pistes de travail sur deux projets d’écriture qui étaient déjà assez avancés, mais aucun des deux n’a trouvé une suite ici. Je travaillais à l’époque avec une compagnie qui était basée à Caen, l’AstraCaen, je sortais d’une création avec eux et on allait vers une autre création, on allait parler du terrorisme. J’ai beaucoup travaillé là-dessus, sous forme de notes, ici. Donc : rien à voir avec ce que j’avais proposé. C’est venu petit à petit avec , je sais pas, le lieu, le temps, et puis les conditions extérieures à la Chartreuse. Je me suis mis à écrire un carnet avec une dizaine de textes courts, Carnet 1, du recueil de deux carnets, Actes/Révoltes.

As-tu dû t’éloigner du lieu ou au contraire apprivoiser les murs pour te mettre au travail?

Le lieu ne m’a vraiment pas aidé. J’ai compris une chose, puisque je parlais de cette inconscience à venir ici, puisque c’est comme le rôle, quant on est auteur, on vient à la Chartreuse, on s’extirpe du monde et on commence à écrire. Or moi, l’écriture, c’est mon quotidien. A l’époque, j’écrivais beaucoup plus au café, chez moi, sur un banc, au creux du monde, au creux, de façon urbaine, de la ville. En venant ici ça m’a fait un choc parce qu’il y avait quelque chose d’artificiel, par rapport à ma démarche d’écrivain, où tout était fait pour que je puisse écrire, et ça m’angoissait. Je n’avais rien à penser du quotidien, faire à manger, faire les courses, aller à la poste, … et en fait, ce sont des choses qui m’aident à écrire. Me retrouver démuni de tout ça a été finalement très très dur au début. Même violent. J’étais devant une espèce de feuille blanche qui ne voulait pas se remplir… C’est pour ça que ça s’est mis sur le fait qu’il y avait une création qui allait venir. Sinon, je me suis rendu compte que je n’étais pas fait pour faire des résidences et pour échapper au monde.

Est-ce que le lieu Chartreuse est inscrit quelque part dans ton texte ?

Pas concrètement mais c’est sûr que dans mon écriture, j’ai beaucoup travaillé sur la symbolique et l’imagerie judéo-chrétiennes et le fait de vivre quelque chose qui a un rapport avec ça ici a alimenté et conforté les choses dans mon écriture. S’il y a une chose que la Chartreuse, en tant que lieu pour les auteurs m’a amenée, c’est  le fait que c’est un lieu où des gens, il y a une époque, se retiraient du monde pour penser à Dieu. Je ne suis pas croyant mais j’ai conscience de vivre dans une société très fortement inscrite dans le judéo-chrétien.

Quelles formes revêt l’écriture dans ton imaginaire ?

L’image qui peut me venir est celle d’un champ. Avec tout le temps du champ : un champ qu’il faut laisser reposer, qu’il faut labourer, qui connaît des saisons, à qui il faut du temps, qui a aussi un caractère : une terre où on ne peut pas planter tout partout, un champ à cultiver.

Est-ce que le scénographe ou le metteur en scène t’a épaulé pendant ton travail ?

Oui, pratiquement toujours. J’ai trois types d’écritures différentes dans lesquelles j’essaie de travailler toujours ma langue. L’une c’est quand je travaille le monde réel, celui de l’hôpital, d’une prison, d’une école, où un échange se passe avec la société. La deuxième c’est quand je suis plus chez moi, concentré, ou dans un café, et j’écris ce que moi, j’ai envie d’écrire, ce qui me semble urgent/important pour moi d’écrire. La troisième chose, c’est quand je travaille avec des metteurs en scène ou des compagnies, très proche de la scène et très proche de la création. J’ai besoin de ces trois choses-là. J’écrivais sur le terrorisme parce que j’avais discuté avec un metteur en scène. Ici à la Chartreuse, en dehors de la résidence, j’ai rencontré une compagnie de théâtre d’objets, avec laquelle je travaille maintenant depuis 6-7 ans. On en est à la deuxième création, on sait qu’on va en faire une troisième et on s’est rencontrés ici, dans des rencontres qui existaient à l’époque entre des auteurs et le monde de la marionnette. C’est un dialogue permanent. J’aime bien accueillir des gens dans mon écriture. Il y a une espèce de combat à rester moi-même mais en répondant le plus proche possible de ce qu’est leur demande. C’est un enjeu que j’aime bien, très théâtral.

Que sont devenus les mots écrits en résidence?

Il y avait un travail européen, qui se passait à Caen, avec une compagnie belge, de Valérie Cordy, l’AstraCaen et une compagnie d’Udine, en Italie. Il y avait un premier travail qui était fait, notamment autour de ce premier carnet, qui a donné lieu à l’écriture d’un second carnet et qui a donné lieu à un spectacle bilingue franco-italien. Ce spectacle a été crée en Italie en 2002, donc pas très longtemps après ma résidence et joué dans les deux langues.

Y a-t-il eu une lecture de ton texte à la Chartreuse ?

Il y a eu une lecture, mais pas tout à la fin.

Déclenche-t-elle l’envie de revenir sur le texte? En général, quelles sont tes impressions par rapport à l’exercice de la lecture ?

Le fait d’entendre dire son texte est très important. Je ne m’en rendais pas compte au début, parce que souvent les lectures étaient une caution. On fait du théâtre belge,  comme au Théâtre national, et finalement c’est des lectures faites avec des écoles, et c’est les seules représentations qu’on a des auteurs belges dans un endroit où on pourrait attendre mieux, plus et d’une façon plus intelligente. Je me disais que les lectures c’était ça. Mais petit à petit, je me suis aperçu que, en dehors d’être joué, qui est le but principal, le fait d’entendre son texte à une étape de travail, c’est toujours très bon… même quand on pense avoir fini, pour retravailler, reconnaître les faiblesses, même si on ne sait pas agir dessus à l’instant de la lecture. Moi, ça me porte à écrire, d’entendre mes textes lus d’une façon ou d’une autre.

Te sens-tu délaissé d’un poids après l’écriture, quand un metteur en scène s’empare de ton texte ou redoutes-tu cette appropriation?

Non, c’est ce à quoi j’aspire et c’est ce qui fait, en tout cas en Belgique, une espèce de spécificité : c’est que je n’ai jamais mis en scène mes propres textes, je n’ai jamais été le porteur de projets de textes que j’avais écrits. J’ai toujours pensé que l’auteur dramatique donnait quelque chose qui allait être transformé et j’attends ça. Dans transformer, il y a autant de déception que de joie, de crainte… Mais c’est vivant, il se passe quelque chose, je peux tout vivre. J’ai vécu de grosses déceptions, très difficiles, mais j’en veux encore, je préférerais avoir ça que devoir un jour me dire que je vais monter mon texte moi-même. Dans ma vision de ce que c’est mon travail d’auteur, mon parcours, mon travail, ça me semblerait un échec. Sauf si ça partait d’un réel désir. Mais là, non, l’intérêt c’est de rencontrer des personnes et d’échanger avec elles.

As-tu dû rendre des comptes à ton retour de résidence- à Wallonie-Bruxelles, à la Chartreuse, à ta femme, à ton chien ?

Sans doute, à tout le monde mais de façon assez soft pour que tout ce qui m’avait traversé à ce moment-là : ma difficulté d’écrire, le fait d’abandonner les projets auxquels je m’étais destiné et de partir sur d’autres choses, tout ça finalement était acceptable et heureusement. Parce qu’on serait alors dans des cellules et obligés de prier un seul dieu et ce serait un peu embêtant pour des auteurs. Je remercie d’ailleurs toutes ces instances. Les choses changent aussi, il y a des choses qui ont été écrites donc ça, ça… J’imagine aussi que d’envoyer des auteurs et qu’il ne se passe rien de rien, ça peut être à la longue pour une institution quelque chose de difficile à porter. J’aime aussi les choses plus généreuses. J’ai été dernièrement accueilli comme habitant au théâtre de la Balsamine pendant de nombreuses années et on ne me demandait rien, pratiquement. Il y avait cette connaissance du travail de l’auteur qui est là pour écrire. On m’a juste offert la possibilité d’écrire. On n’est pas venu me réclamer des choses. Je trouve ça généreux et intelligent. Surtout si les choses se font.

Comment te sens-tu à Avignon, en festival ?

Oppressé : je déteste ça. J’ai une image biblique qui me vient toujours, c’est évidemment les marchands du temple. J’ai une vision très héroïque de moi, très romantique, une espèce de Jésus qui partirait avec un bâton, qui frapperait sur tout le monde et qui dirait : Non, c’est pas là qu’on fait du théâtre ! Je déteste Avignon, je n’y vais vraiment que quand j’ai quelque chose à faire. Je me sens vraiment très mal quand j’y suis en tant que spectateur. Il y a trop de sollicitations et ça ne me convient pas du tout.

Dans l’objectif, tu préfères être shooté au Palais des Papes ou derrière un arbre du parc des chartreux?

Les deux. Tant qu’à faire ! Qu’il y ait de toutes les dimensions, j’ai me bien quand c’est ailleurs, hors les murs, sans le sou et puis aussi de façon avec tous les moyens. Il faudrait pouvoir goûter à tout ça. Pas rester dans l’une ou l’autre chose. C’est pénible dans les deux cas. Je crois que ça doit être fatigant d’être sous les ors tout le temps et ça se voit : des gens intelligents s’en vont parce qu’ils ont eu assez de ça. C’est pas mon cas : j’attends d’avoir eu les ors pour pouvoir le dire.

A ton avis, les Belges ont-ils trouvé leur place à Avignon?

Je pense que oui, notamment grâce au Théâtre des Doms et à tout ce qui s’y fait. Il y a là-bas une représentation de qu’est-ce que c’est une belgitude francophone.  Elle existe, elle est reconnue… C’est aussi parce que les autres en parlent, on sait que les Belges sont là et on va voir du belge. C’est pas mal, je trouve, il y a la place, quoi. Mais il y a aussi des choses qui se font en OFF, en-dehors du théâtre des Doms, qui existent aussi. En tant que francophone, il n’y a pas de doute, les Belges sont là, et ça se sait.

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