Résidences/Récits d'encre - Isabelle et Marie Henry

Publié le  17.07.2012

Dans le cadre de Résidences/Récits d’encre, Bela a interviewé dix résidents de la Chartreuse .

Quand avez-vous résidé à la Chartreuse?

I: On était à la Chartreuse au printemps dernier, en mai-juin 2011.

Sur quel projet travailliez-vous?

I: La Chartreuse est arrivée à un moment où on avait vraiment envie de travailler ensemble. C’est quelque chose qui ne nous était jamais arrivé auparavant. On vient chacune d’une discipline différente. La Chartreuse était l’occasion de travailler ensemble sur un projet qui pouvait mêler et confronter nos deux disciplines.

Comment se sont organisées les étapes de votre travail?

M: On a essayé de confronter nos deux disciplines, cherché comment on pouvait mêler l’écrit à l’image. C’était une recherche sur plusieurs formes qui pouvaient être intéressantes. Par exemple comment le texte pouvait illustrer à l’excès l’image, comment, l’inverse, l’image pouvait trahir le texte, comment elle pouvait combler les manques du texte avec un texte à trous… Plein de petites formes comme ça, différentes. Une grande partie du travail à la Chartreuse aussi a été de voir comment on pouvait élaborer le processus de travail parce qu’on n’avait jamais travaillé ensemble et que le temps de l’écriture et le temps de l’image ou du montage n’est pas du tout le même. Et surtout, ce dont on avait vraiment envie toutes les deux c’est que l’écriture ne soit pas le matériau premier de toute matière et que nous travaillions vraiment en va-et-vient. Qu’on ait chacune une spécialité mais qu’on travaille vraiment dans le processus global en faisant des allers-retours. La matière qu’apporte Isabelle me fait rebondir et vice-versa. Je ne voulais pas venir avec un texte qu’on illustre. On a passé beaucoup de temps à la Chartreuse dans cette étape de recherche-là: comment tout simplement on met ensemble en place le travail.

Qu’est-ce que ce projet est devenu?

I: Il est montré à la Chartreuse pendant les rencontres d’été 2012. On est vraiment super contentes que ça se passe là pour la première parce que c’est un travail qui appartient à ce lieu. Tout a été tourné principalement in situ. Ce sont des gens qui étaient en résidence ou le personnel du lieu qui ont « joués » (on n’aime pas ce mot, parce qu’on ne les fait pas jouer) et qui sont dans le film. Il y a aussi le lieu de la Chartreuse, en tant que bâtiment. Pour nous c’était vraiment le lieu idéal pour ça.

Quelle est l’image, le détail, le symbole qui évoque la Chartreuse pour vous?

I: Pour moi, peut-être la cour intérieure, quand on arrive. Parce qu’il s’est passé plein de trucs dans cet endroit.

M: Tu veux dire le cloître Saint-Jean?

I: Oui. On y a tourné des petites scènes. Tout d’un coup il y a un résident, Jacques Sojcher, qui s’est mis à danser avec des visiteuses et on en a profité, on lui a fait faire quelques pas de danse. Il y avait un petit truc de se servir du lieu, des gens… Ils s’est passé des choses pour notre travail et pour les visiteurs qui étaient là.

M: Moi j’aurais dit les troènes parce qu’il y a un endroit où on a demandé au libraire de se jeter dans les troènes dans l’autre cloître, celui du cimetière. Pour moi, c’était un bon moment.

Quelle est votre représentation, en images, de l’écriture? Quelle forme revêt l’écriture dans votre imaginaire?

M: Ce serait un schéma. Une carte électronique ou un truc du genre. Mais il pourrait y en avoir plusieurs. J’ai l’impression que c’est celle qui me correspond maintenant mais je ne sais pas si ce sera le cas dans deux ans. Ou je verrais des chiffres, quelque chose de l’ordre des mathématiques. Quelque chose qui s’imbrique, des ramifications. Et je crois que c’est parce que j’aime bien travailler sur la forme, sur les fragments.

I: Je dirais quelque chose qui se superposerait, comme des couches d’images qui créent des couches narratives. Quelque chose qui s’empile un peu… J’imagine ça parce que dans la façon dont je travaille, je pars d’une base pour en créer une autre. Parfois, j’ai des empilements de décors par exemple, derrière un personnage. C’est ça aussi, ou cette accumulation de choses à partir du réel mais qui peuvent dériver plus loin.

Que pensez-vous que la résidence apporte à un auteur?

M: Plein de choses. Moi j’ai fait deux résidences différentes, à pas mal d’années d’intervalle. Une résidence d’auteur vraiment toute seule, qu’avec des auteurs et une résidence avec Isabelle qui est une résidence conjointe, donc avec un artiste autre qu’un auteur dramatique. C’étaient deux apports complètement différents. Le point commun des deux résidences que j’ai faites c’est que ça nous permet d’être dans un lieu seul, complètement isolé, où on peut pleinement se consacrer à notre travail. Le fait d’avoir une liberté totale dans le travail, dans ce qu’on veut présenter. La particularité de la dernière résidence c’est qu’on a eu une vraie rencontre avec le personnel de la Chartreuse, avec les résidents, parce que justement on est sorties de notre cellule. On n’est pas restées là à se consacrer sur notre travail artistique. On avait besoin d’images, on avait besoin des gens, on est allé vers les autres et il y a eu une rencontre qui a dépassé le fait d’être centré sur son travail.

I: C’est devenu la base projet parce que pour se mettre dans ce projet-là on avait aussi besoin des autres, de tout ce qui nous entourait à la Chartreuse.

M: La résidence apporte un temps, c’est certain. Un temps complètement déconnecté de la réalité où tout d’un coup on n’a plus à se soucier de quoi que ce soit et qui permet vraiment de rentrer à fond dans son travail ou dans ses obsessions et de ne s’occuper de plus rien d’autre. Ce qui a été aussi important pour nous deux c’est qu’on est restées un mois et demi. On a pu rencontrer plein d’artistes différents puisque c’étaient plutôt les autres qui partaient et nous qui restions. Ça a été aussi fort difficile de rentrer chez nous parce qu’on avait l’impression de retourner à la vraie vie. Un peu monotone, un peu super quotidienne. Le retour a été violent.

Est-ce que c’est une expérience que vous recommenceriez?

I: Après cette expérience on s’est dit que vraiment, ça s’était bien passé et qu’on avait de la matière pour travailler ensemble.

M: Mais l’expérience de la résidence, oui, ça c’est sûr, moi je voudrais vraiment le refaire. Là, je le vois bien, on continue à travailler parce qu’on n’a pas fini le travail et ce sont des conditions vraiment difficiles. A la Chartreuse, on a le temps de la recherche.

I: En plus quand on a continué le travail en rentrant de la Chartreuse, on savait qu’on avait eu beaucoup de chance. Après, on a eu des autres expériences où on s’est retrouvées pour travailler et où on n’arrivait pas à être dans ce même état d’esprit et de travail parce qu’effectivement il y a aussi autre chose, il faut répondre aux mails, on est sollicité de partout… on n’est plus du tout dans cet endroit où on peut être reclus sur nous-mêmes. Même si nous étions dans un aller-retour avec l’extérieur et avec les gens, ça n’a rien à voir et récemment on a eu des expériences de travail qui étaient très spéciales. C’était exceptionnel de pouvoir travailler sur cette longueur.

Et c’est quelque chose que vous referiez aussi de manière solitaire?

M: Moi je l’ai déjà faite et ça a été important dans mon parcours. Ça m’a permis de me demander si mon métier allait être d’écrire. Quand j’ai fait cette première résidence je ne savais pas si je voulais écrire ou pas. J’étais nulle en mise en scène, je en savais pas quoi faire. Elle a été plus forte dans les deux sens du terme, plus difficile parce que j’étais restée deux mois, j’étais beaucoup plus jeune, j’étais toute seule. Je garde de la résidence avec Isabelle une résidence vraiment plus festive, légère. Pendant la première j’avais l’impression que je devais prouver des choses. C’était assez impressionnant, il y avait des lectures publiques, des rencontres avec beaucoup d’auteurs beaucoup plus âgés, qui avaient des grands discours, etc. Là, on était deux, on faisait une résidence conjointe, personne ne faisait ça, on ne se retrouvait pas qu’avec des auteurs, il y avait beaucoup de résidences de compagnies, et nous on était un peu à part parce qu’on était deux et puis on mêlait écriture et vidéo. Du coup il y a eu quelque chose de beaucoup plus convivial.

Les deux expériences m’importent mais pour le moment, parce que j’ai envie de sortir de l’écriture exclusivement dramatique, refaire une résidence avec Isabelle ou avec quelqu’un qui fait une autre discipline me tente plus. La première fois à la Chartreuse, je comptais, je mettais des petites barres dans un carnet, comme si j’étais en prison quoi. Parce que c’était deux mois. Je n’étais pas rentrée et puis les visites étaient interdites.

Comment s’appelle le projet sur lequel vous avez travaillé?

M: On a un anglais pitoyable…Tu t’y colles ?

I: Ça s’appelle No windows fenêtres il y avait in our bedrooms.

M: C’est notre père qui va être content, il est prof d’anglais…

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