Résidences/Récits d'encre - Jeanne Dandoy

Publié le  17.08.2012

Dans le cadre de Résidences/Récits d’encre, Bela a invité dix résidents de la Chartreuse, parmi lesquels Jeanne Dandoy, à revenir sur leur expérience mais aussi sur l’écriture, la manière de travailler, le métier d’auteur…

 

Quand as-tu résidé à la Chartreuse ?

J’ai résidé en février 2010, avril et mai 2011. J’ai morcelé ma résidence en trois parties de deux semaines.

 

Quelle est pour toi l’image, le détail, le symbole, le lieu qui évoque ton séjour à la Chartreuse et pourquoi ?

La quiétude, la tranquillité, la sérénité, la paix. J’étais vraiment calme et sereine là-bas. Le lieu qui évoquerait la Chartreuse serait la cellule que j’ai eue, une des trois cellules en fait, puisque j’en ai eu deux ou trois différentes. Celle que je retiens est la L je crois, la cellule L. Je m’y suis sentie particulièrement bien. Dans les autres aussi, mais surtout dans celle-là. Je suis beaucoup restée dedans. Je sais que d’autres résidents passent du temps à se balader dans le village, ou dans la Chartreuse, à la visiter, etc. C’est un lieu magnifique, les jardins sont magnifiques, mais moi je me sentais tellement bien là, tellement en plein calme, en pleine quiétude, paix et sérénité. Je ne suis pas bouddhiste, mais j’ai aimé ce calme. Dès que j’ai pu je me suis mise au jardin, sous l’arbre. Il y avait une grande table en bois et j’ai sorti mon ordinateur – j’ai travaillé là et j’étais bien.

 

Quel était le projet que tu présentais pour pouvoir résider à la Chartreuse ?

Oui il faut proposer un projet, j’en ai proposé un, mais j’ai fini par écrire deux pièces. Ce n’était pas prévu. C’était un accident de parcours que j’en fasse deux. À la base j’avais prévu d’écrire un spectacle qui s’appelait Sortie de secours. J’avais écrit une dizaine de pages. Je voulais travailler sur des héros un peu ridicules, qui n’arrivent pas à s’en sortir dans ce monde-ci. Des gens de ma génération qui ont du mal à se débrouiller avec la génération d’avant, et le fait d’être issu de cette dernière, qui a un peu tout fait avant eux. Mais cela dit, ce n’est pas ça que j’ai écrit. C’est ce que je me souviens avoir proposé comme projet pour ma résidence. Il y a quelque chose qui est resté de ça, mais ce n’est pas ça que j’ai écrit.

En réalité, j’ai écrit une pièce qui s’appelle Miss Cassandre, un seul en scène parti d’improvisations que j’avais faites dans un atelier avec le Groupov. Un atelier sur le premier volet d’une tétralogie que je devais suivre en tant qu’actrice, mais que j’ai abandonnée. Je me suis retirée du projet, mais j’avais fait une très longue improvisation, que j’avais écrite en partie. J’ai ressenti le besoin, je ne sais pas pourquoi, là-bas à la Chartreuse, de terminer ça, d’y mettre un point final. Et c’est devenu un très long monologue, qui s’appelle donc Miss Cassandre. C’est l’histoire, pour faire très court, d’une ancienne actrice célèbre qui est enceinte d’un révolutionnaire, d’un enfant qui parle à sa place, qui est le messie, qui l’engueule tout le temps.

Et j’ai écrit une autre pièce qui s’appelle quand même Sortie de secours, mais qui          a beaucoup évolué, parce qu’à la Chartreuse, j’ai rencontré une auteur, Marine Richard, qui est atteinte d’un syndrome terrible : une hypersensibilité aux ondes électromagnétiques. Quand je suis arrivée à la Chartreuse, elle m’a demandé de changer de cellule parce qu’il y avait un générateur d’ondes, je ne sais plus très bien quoi, une sorte de problème électrique au bout de la cellule où elle était. Et elle m’a demandé d’échanger sa cellule avec la mienne parce que ça lui causait de graves problèmes, de graves douleurs. J’ai accepté, et j’ai voulu en savoir plus sur son syndrome. Ça m’a effrayée, interpelée. Et j’ai écrit une pièce là-dessus parce que ça me permettait de mettre en lumière le fait qu’on allait droit dans le mur avec une société dans laquelle, pour l’argent, pour consommer toujours plus, on accepte de mettre en péril l’équilibre de la santé de tout le monde, et des enfants en particulier. De plus en plus d’enfants deviennent hyperkinétiques. C’est un des premiers symptômes de ce syndrome dont est victime Marine Richard.

 

Comment écris-tu ? Seule, en silence, monacalement, hystériquement, rageusement, en boxant ?

J’adorerais pouvoir écrire avec des acteurs. Je suis actrice moi-même et j’adorerais écrire à partir du plateau, mais c’est souvent très compliqué. C’est pourtant ce qu’il y a de mieux pour l’écriture de la scène. Il n’y a pas de budgets pour ça, en Communauté française de Belgique. C’est tout à fait regrettable parce qu’on remarque qu’il y a de plus en plus d’écrivains de plateau, et que ça correspond à la réalité, mais depuis très longtemps. Qu’étaient donc Molière et Shakespeare à part des écrivains de plateau ? Malheureusement il n’y a pas de résidences ou très peu qui permettent ça. Donc je suis chaque fois obligée d’écrire seule face à mon ordinateur. J’essaye toujours, puisque je mets en scène mes propres textes, en tout cas c’est moi qui les ai mis en scène jusqu’à présent, de me ménager une première confrontation à la scène avec les acteurs, et puis de retourner à l’écriture. En général je fais une première cession de répétition, puis une seconde. Je morcèle les périodes. Et puis je repasse à l’écriture, en fonction de ce qui s’est passé à la scène. Je retravaille le texte ensuite avec les acteurs.

Cela dit les choses que j’ai écrites à la Chartreuse auraient dû être mises en scène beaucoup plus tôt – il y a eu quelques accidents de parcours, j’avais prévu que je ne les mettrais pas en scène moi-même. Le projet qui s’appelle Miss Cassandre, c’est Raven Rüel qui doit le mettre en scène, et nous avons prévu tous les deux de passer un long temps de ping pong entre plateau et écriture, de manière à ce que le texte soit vivant. C’est un texte qui nécessite une part d’improvisation. Il y a une interpellation au public, il y a des questions qui sont posées. Ce qui nécessite une grande souplesse de l’actrice (moi en l’occurrence). J’en ai fait une lecture à la Chartreuse, à l’occasion des 10 ans de la collaboration entre la FWB et la Chartreuse, je crois, avec d’autres auteurs qui lisaient également. Il y avait Dominique Wittorski, Fabrice Murgia, Marcel Moreau, et moi-même. J’ai lu le début de Miss Cassandre. C’était un peu particulier parce qu’il y avait des moments où c’était un peu de l’improvisation, je posais des questions au public, ce qui était l’occasion de tester le texte, de voir s’il était drôle ou pas, puisque c’était un objectif. C’était très agréable parce que ça réagissait bien, je pouvais faire des digressions. Mais c’est quelque chose qu’il faut vraiment répéter au plateau. On ne peut pas juste être derrière son ordinateur et tapoter en se disant que ça va marcher. Non, ça a besoin d’être répété. Et malheureusement les pouvoirs organisateurs ne comprennent pas ça.

 

Et si tu devais te représenter l’écriture ? Ce serait sous quelle image, sous quelle forme ?

On ne peut pas revenir à cette question plus tard ? Parce que je n’ai pas encore trouvé la réponse.

Il y a un truc de l’idée de la liste de course. J’accumule les informations et puis un moment c’est prêt. Et puis ça sort. Enfin c’est pas l’image juste. Je dois encore y réfléchir.

 

Tu nous as parlé de Miss Cassandre, mais qu’est devenu Sortie de secours ?

C’est compliqué. Je ne sais pas encore quelle voie ça va prendre. Je ne laisse pas tomber, mais je ne sais pas encore quel chemin prendre avec ça.

 

En règle générale qu’est-ce qu’une résidence apporte à un auteur ?

Du temps. Du vrai temps. Je veux dire, c’est ce que ça apporte à un auteur qui n’est pas qu’auteur en fait. C’est-à-dire que je suis aussi comédienne, je me considère avant tout comme actrice, et donc je passe beaucoup de temps à jouer. Et donc il faut que je dégage du temps pour écrire, pour m’extraire de la vie quotidienne. Pour ceux qui ont une vie de famille prenante, il me semble, ça ne doit pas non plus être évident. Les gens qui n’écrivent pas ne se disent pas « on va le/la laisser écrire », ça ne leur paraît pas être une activité « respectable » pour beaucoup de gens. Donc on se permet de venir interrompre, de demander quelque chose. Ce n’est pas un travail quoi. Mais actrice non plus ce n’est pas un travail.  « Ah vous êtes actrice ? Et à part ça qu’est-ce que vous faites ? » C’est infernal. Auteur c’est la même chose. Mais c’est un peu plus respectable, parce que actrice c’est pute. Auteur ce n’est pas pute. Mais bon voilà. Et soi-même, on se le dit. Moi je sais que j’ai dix mille autres choses qui passent avant parce que je dois faire les courses, je dois faire les poubelles, etc. Donc à la Chartreuse on a du temps qui est dégagé pour ça, où tout est organisé autour de ça. Il y a du calme. Tout le monde n’aime pas ça, mais moi oui. Et il y a de la beauté. C’est rangé. J’aime quand c’est rangé. Je n’arrive pas quand il y a du bazar. Donc ça permet d’organiser la pensée autour de ça. Tout le monde est concentré autour de ça. Il y a un projet global autour de l’écriture. Les gens vous demandent où vous en êtes, mais il n’y a pas de pression. Et la beauté, ça c’est tellement important, qu’il y ait de la beauté autour de soi. Je ne parle pas de luxe. Je parle du fait que c’est épuré, qu’il y a de l’histoire, qu’il y ait tellement de gens qui aient écrit là avant, et le calme, la tranquillité. Il y a quelque chose d’apaisant pour moi. Même le mistral, il y a des gens que ça dérange, mais moi pas, pas du tout. Le fait que les éléments soient autour de moi, que ce soit la grande chaleur, le cas échéant, ou le vent… Parfois j’avais l’impression que c’était les Hauts de Hurlevent ça me ramenait à Emily Brontë. C’était aussi des siècles d’auteurs derrière moi et c’était magnifique parce que j’avais l’impression qu’ils m’encourageaient.

Et puis ces grandes cheminées, dont on ne peut pas toujours se servir, c’est aussi bien parce que ce sont des vraies matières. On n’écrit pas avec du plastique autour de soi, pas du formica, ce sont des vraies matières. Avec des gens charmants autour de soi aussi, et puis d’autres auteurs qui sont là. On se retrouve au moins une fois par jour, plus si on veut, mais au moins une fois, au repas du soir, sauf si on ne veut pas évidemment. On peut confronter les points de vue si on le souhaite, parler de nos œuvres ou de tout à fait autre chose.  C’est très très riche. C’est un vrai luxe. Le vrai luxe c’est ça.

 

Est-ce que tu as déjà effectué d’autres résidences ou est-ce que celle-là est la première ? Est-ce que tu aimerais en faire d’autres ?

Non je n’en ai jamais effectué d’autres, mais j’aimerais ça. Je ne sais pas si elles auraient toutes cette qualité parce que c’est vraiment un séjour de grande qualité. Mais oui je serais très curieuse et friande de découvrir d’autres résidences.

 

Tu parlais de ton métier d’actrice. Est-ce que tu penses qu’en tant qu’actrice, ce serait intéressant d’avoir des résidences avec les auteurs, les metteurs en scènes, etc. ?

Oui ce serait bien. Et je pense qu’il est regrettable et une vraie erreur qu’il n’y ait pas de résidences entre auteurs et acteurs. C’est même débile. Ça n’a pas de sens. Le métier d’acteur est lié au métier d’auteur. Il y a bien des résidences entre compositeur et auteur, entre auteur et metteur en scène, mais c’est encore plus lié avec les acteurs. Il faut pouvoir essayer les propositions, ça ne fonctionne pas toujours du premier coup. C’est très beau sur le papier mais ça ne fonctionne pas, et ça il n’y a qu’avec l’acteur qu’on peut le savoir. En tant qu’acteur c’est très gai d’essayer les propositions des auteurs.

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