Résidences/Récits d'encre - Laurence Vielle
Dans le cadre de Résidences/Récits d’encre, Bela a interviewé Laurence Vielle sur son expérience de la Chartreuse, mais aussi sur son écriture, sa manière de travailler, ses projets…
Quand as-tu résidé à la Chartreuse?
J’ai résidé plusieurs fois à la Chartreuse. La première fois c’était il y a une douzaine d’années, c’était dans le cadre d’un projet sur l’esclavage. Il y avait des auteurs de plusieurs pays. On devait écrire un texte pour commémorer les 150 ans de la fin de l’esclavage. J’étais encore une bien jeune auteure et c’était passionnant parce qu’il y avait des gens plus âgés que moi qui avaient des écritures très belles, très fortes.
Puis je suis retournée pour le projet Etat de marche, avec Jean-Michel Agius. J’avais eu une dérogation spéciale parce que c’était un projet à deux. C’était pour revenir sur les matériaux de la marche, en faire une écriture.
Et puis la dernière fois, c’était une résidence que m’a proposée Yves Borrini, d’une compagnie du Sud de la France, Le bruit des hommes, sur les métiers de nuit. C’était intéressant parce qu’on était était six-sept à écrire. J’avais écrit sur Miss Kittin, une dj de rave party. C’est pas du tout mon univers mais je m’étais bien amusée. J’avais essayé de faire un texte qui ressemblait presque à de la rave. Il y avait une lecture à la fin et j’aimais beaucoup cette résidence.
J’avais découpé dans Libération le portrait de Miss Kittin et j’avais adoré ce portrait donc je le gardais dans ma poche. A la Chartreuse, j’ai repris cet article et à partir de là j’ai écrit mon texte. Et j’ai découvert Frank Sinatra. La chanson.
Est-ce que tous ces textes sont devenus quelque chose?
Le premier n’a pas été publié mais a beaucoup été lu. C’était très encadré par différentes structures. On a fait beaucoup de lectures, tous les auteurs ensemble, à Paris, à Limoges, à Grenoble.
Le deuxième, Etat de marche, est devenu le texte du spectacle qui a beaucoup tourné, parce qu’on a eu la chance de jouer aux Doms. Donc là, l’étape de la Chartreuse, c’était vraiment une étape importante et en même temps j’avais été la même année en résidence au théâtre des Doms, qui fait aussi des résidences d’auteurs-comédiens, le tout m’avait vraiment permis d’avancer.
La troisième fois, c’est la compagnie d’Yves Borrini dans laquelle il y a des comédiens qui se sont emparés de tous les monologues et qui en ont fait un spectacle qui a tourné, et puis il y a eu une publication chez Lansman.
Quelle forme revêt l’écriture dans ton imaginaire?
Plein de formes. Ce qui m’est venu le plus immédiatement, sans réfléchir, c’est l’image de quelque chose sur un trottoir de ville, de quelque chose d’un peu jeté, comme un papier. Mais ça peut être une liste de course, un emballage, quelque chose qui est un peu flottant comme ça. Si je vais plus loin ça peut être des débris du monde, je pense à la place du Jeu de Balle quand le marché fini, on regarde entre les pavés et parfois avec mes filles là-bas c’est comme une chasse au trésor. Il y a des petits débris de porcelaine, de bijoux, des bouts de papier.
J’ai l’impression toujours que je glane des bouts du monde en écrivant, les mots des gens. Je suis très touchée par la manière dont les gens parlent. Pour moi, ce qui paraît anodin comme un vieux papier ou un débris entre des pavés c’est des trésors. Chaque parole que je vais me mettre à recopier paraîtrait peut-être anodine mais une fois qu’on va la voir sur le papier et qu’on va la dire tout haut… C’est important.
A propos des détails, est-ce qu’il y a un détail dans le lieu Chartreuse qui t’a marquée plus particulièrement?
Il y a un petit détail que quelqu’un ma montré un jour. Quand la Chartreuse a été construite, les tailleurs mettaient leurs signatures sur les pierres. Par exemple, il y en a un qui signe avec un petit lézard. Chacun avait une signature précise. Il faut vraiment les chercher. Il y en a partout à la Chartreuse parce qu’ils étaient tellement à travailler dans cet extraordinaire endroit.
Y a-t-il d’autres lieux qui t’ont marquée? Qui se retrouvent peut-être dans tes textes ou qui ont influencé ton écriture?
Le lieu que j’adorais, c’est là où Coco nous réunissait tous le soir pour manger. Elle faisait des choses très bonnes à manger et puis c’était là qu’on se rencontrait tous. Sinon, je ne crois pas qu’on retrouve les lieux dans mon écriture. Par contre, la Chartreuse porte complètement l’écriture. Parce que pour moi, c’est un endroit de silence, de retrait, d’étrangeté aussi. Il y a ce grand cloître, le cimetière, les moines y sont enterrés au milieu des cellules en fait. Et puis, j’ai le souvenir d’une nuit terrible où j’avais été toute seule, le premier janvier, j’ai pas dormi de la nuit. J’avais très peur. Il y a un côté comme ça un peu fantastique dans cette Chartreuse.
J’aime beaucoup les murs aussi. Je pense à Claude Guerre à la Maison de la Poésie qui, quand il allait à la Chartreuse, s’arrangeait toujours pour faire un tour par les murs. On peut se balader sur les murs, sur les toits…
La Chartreuse, c’est chaque fois un autre voyage, parce qu’il y a chaque fois d’autres écrivains et la présence des autres est importante même si on est très seul dans nos cellules. J’aime bien les jardins des cellules. C’est des jardins clos, on a chacun son petit jardin, c’est comme des endroits presque méditatifs. C’est des jardins de pause, l’été ou l’hiver – j’ai eu la chance d’aller à plusieurs saisons - dans lesquels j’aime m’asseoir.
Quels sont les rapports que tu entretiens avec la solitude?
Dans ma vie, je n’ai pas tellement de solitude. J’ai deux filles, ce n’est pas quelque chose que je rencontre souvent, des moments de solitude.
J’aime beaucoup que quelque chose de l’écriture me vienne en marchant. Peut-être que ma solitude est là. Ce n’est pas une solitude immobile, c’est une solitude dans le bruit. Ça peut être le bruit de la nature, le vent, les arbres, les oiseaux… et ça peut être le bruit de la ville, les camions, les gens, la rue. Et là, c’est une forme de solitude parce que quand on marche on est quand même très solitaire. Même quand je marchais avec Jean-Michel dans Etat de marche, je ne marchais jamais à côté de lui, je marchais loin de lui. Sinon, je n’ai pas du tout ce rapport à l’écriture de me mettre seule à un bureau pour me mettre à écrire. C’est quelque chose que je connais très peu. Quelque chose doit surgir dans le concret puis ça se jette un peu sur le papier mais il n’y a pas un moment d’écriture solitaire, ça peut être avec mes filles autour, dans un café…
Et comment as-tu travaillé alors à la Chartreuse?
C’est des moments privilégiés pour moi. C’est les seuls vrais moments de solitude que j’ai connus dans mon travail. Avec tout ce que ça a de marquant d’être confronté à cette solitude-là. Et encore, pas tout à fait, parce que la troisième fois, j’avais une toute petite fille que j’allaitais encore et mon compagnon était venu avec moi. Ils me laissaient parfois seule mais pas tant que ça. Et la deuxième fois, j’étais avec Jean-Michel mais on était quand même tous les deux très solitaires.
A la Chartreuse, il y a une qualité de silence incroyable. A part ces moments où on se retrouve aux repas, c’est des grandes journées… c’est un autre temps d’écriture pour moi que je ne connais pas ailleurs. Les journées peuvent paraître longues, à écrire comme ça…
Et, généralement, que penses-tu qu’une résidence apporte à un auteur?
Une concentration. Parce qu’à chaque résidence, je me rappelle que j’ai mis de l’ordre dans mes papiers, dans mes carnets, pour faire un point sur les choses. Une espèce de mise au point. Une écriture sans doute plus radicale parce qu’on est plus concentré. Et puis des rencontres. Chaque fois, je me rappelle très bien des gens avec qui j’ai écrit. Et puis le fait d’entendre d’autres écritures, parce qu’il y a des moments de lecture, je trouve ça très riche d’apprendre, sur un même sujet par exemple, comment les gens s’emparent d’un sujet dans une écriture. Du silence pour écrire, pour avancer dans son travail.
Tu demandais si la Chartreuse avait imprégné mon écriture… Pas dans le sujet, mais peut-être dans une qualité de présence à mon écriture, sûrement.
Tu as déjà effectué d’autres résidences qu’à la Chartreuse?
Ma dernière résidence c’était près de Châteauvallon. Je suis déjà allée au théâtre des Doms. Je suis souvent en résidence dans des banlieues parisiennes. C’est des résidences complètement citadines. On me jette dans la banlieue et je fais ce que je veux. C’est des résidences d’écriture, mais qui ne sont pas du tout dans un lieu clos. Je travaille avec la parole des gens en les rencontrant. Je note ce qu’ils écrivent, je recopie leurs paroles, j’en fais quelque chose avec des musiciens, des chanteurs, ce n’est pas du tout solitaire.