Vincent Dugomier : "Ce sont des choses merveilleuses à vivre en tant qu’auteur"

Publié le  26.02.2021

Les rencontres d’auteur et d’autrice en classe sont des moments privilégiés de partage autour du livre et de l’écriture. Elles aident activement à donner et à cultiver le goût de lire aux jeunes. À ce titre, ces rencontres viennent enrichir la « boîte à outils » qui peut guider les professionnel.les de l’éducation dans l’apprentissage de la lecture et qui est au cœur du colloque « Lire et faire lire ».

En quoi consiste une intervention en classe ? Bela a tendu son micro au scénariste de BD Vincent Dugomier, qui intervenait dans le colloque organisé les 22 et 26 février 2021, afin qu'il nous parle de son expérience dans les écoles et de ses pratiques pédagogiques.

portrait d'un homme avec cheveux en bataille et barbe en noir et blanc
© Vincent Dugomier

Qui êtes-vous ? À quel titre intervenez-vous dans le colloque « Lire et faire lire » ?

Je m’appelle Vincent Lodewick, mais j’utilise un pseudonyme qui est Dugomier, et je suis scénariste de bande dessinée. J’interviens dans le colloque en tant qu’auteur de BD, je ne suis pas pédagogue, je n’ai aucune formation en ce sens-là mais j’ai eu l’occasion de pouvoir m’exprimer en classe devant des enfants. À ce titre, je suis en mesure de faire une sorte de retour d’expérience.

Dans quelles circonstances avez-vous commencé à faire des rencontres en classe ?

C’est arrivé en 2015 avec le lancement des Enfants de la Résistance. La série a directement intéressé les écoles et j’ai très vite été invité à intervenir dans les classes. Cela s’explique pour plusieurs raisons. D’abord, une réelle dimension pédagogique traverse la série. Elle s’est imposée à cause de la thématique choisie. Quand on a eu l’idée, le dessinateur Benoît Ers et moi-même, de faire une BD qui parle de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance, il était évident qu’il fallait beaucoup se documenter et être didactique par moment parce que si on s’adresse à la jeunesse à propos d’une période compliquée et de concepts pointus comme le nazisme, l’exode, etc., il faut vraiment bien contextualiser et être le plus clair possible. Par ailleurs, au fil de l’écriture du scénario, pour que la BD reste du divertissement et que je puisse librement insérer des émotions et des sentiments dans l’histoire, j’ai demandé à l’éditeur s’il était possible de rédiger un petit dossier pédagogique en fin d’album. De cette manière, je pouvais y donner un complément d’information et j’étais plus relax pour mettre au point mon scénario. L’éditeur a donné son accord. J’ai tenu en revanche à le rédiger moi-même afin de répartir de façon équilibrée les informations qui allaient se trouver dans le récit et celles qui allaient figurer dans le dossier pédagogique. D’autre part, la série parle du monde d’aujourd’hui. Il y a des tas de sujets citoyens qui sont soulevés dans Les enfants de la Résistance. Par exemple, la question des réfugiés, du racisme, des dictatures, du harcèlement, de la contre-information, etc. La bande dessinée ouvre plein de débats qu’il est bon d’aborder avec les élèves, sans pour autant faire un cours de morale.

Ces rencontres en classe influencent-elles votre activité artistique ?

Grâce aux rencontres en classe, j’ai pu tester des mots, des réactions, voir comment les enfants comprennent des choses et ça m’a permis d’aller plus loin. Ils ont été très généreux dans leurs retours, j’ai vraiment compris comment on pouvait s’adresser à eux sur ces thèmes-là. J’ai également pu constater sur le terrain l’énorme intérêt autant des garçons que des filles pour cette époque et ce sujet, c’était intéressant et motivant. Lors de ces interventions pédagogiques, j’apprenais autant qu’eux. Disons que les rencontres en général ont influencé la BD. Il y a eu par exemple des rencontres avec des témoins d’époque, des gens qui étaient tout simplement enfants pendant la guerre ou des gens qui ont été réellement enfants résistants. C’était très riche et émouvant. Sur les salons, on a aussi recueilli des témoignages familiaux. Ces échanges ont énormément nourri la série. Les rencontres en bibliothèques sont également très enrichissantes car elles sont intergénérationnelles. Notre envie depuis le départ avec Benoît est que notre BD soit lue par toutes les générations et que les enfants en parlent à leurs parents et grands-parents, car nous l’avons pensée comme un outil de transmission. C’est ce qui se produit, on a beaucoup de chance.

Aujourd’hui, en quoi consiste les outils didactiques qui accompagnent la série ?

Ils se sont multipliés au gré du temps sans calcul. Désormais, en plus du dossier en fin de volume, on compte une exposition, un dossier dans le journal La classe (paru en octobre 2015 lors de la sortie du tome 1 de la série, il est encore très utilisé), un rallye lecture (c’est un site français où sont mis en ligne des questions et des travaux sur les six tomes déjà parus), des livres de coloriage (imaginés pendant le premier confinement pour occuper les enfants), des affiches thématiques recto-verso pour chaque album. De fil en aiguille, tout cela a évolué. L’exposition elle-même a évolué, un jeu de piste s’est intégré dedans, elle a été montée dans des musées, il y a eu plein de ramifications. Il existe aussi un stand que l'on monte lors de salon du livre (comme le Salon du livre de Montreuil) où l’on fait une démonstration du jeu de piste en accéléré avec un comédien. Il y a deux ans à Angoulême, j’ai fait une présentation avec mon co-auteur Benoît Ers devant un auditoire de 150 profs où on nous a demandé de faire un arbre généalogique de tous les outils didactiques déjà créés. Je n’avais jamais pensé à ça, j’ai du coup collecté des photos et documents, c’était impressionnant de constater tout ce qui avait été fait au fil de l'eau.

Qui prend l’initiative de créer ces outils didactiques ?

On pourrait dire que c’est un travail d’équipe. Pour ma part, j’avais envie de défendre mon livre dans les écoles, de vivre ce plaisir-là, de parcourir du pays et d’aller à la rencontre des gens. De son côté, l’éditeur a compris que l’on ressentait des choses sur le terrain et il nous a fait confiance. Les professeur.es ont été aussi à l’initiative de certains outils. Ils créent également pour leur compte des choses formidables sur base de nos livres. Par exemple, il y a une petite école dans le Hainaut qui a sauvé des tombes d’anciens résistants car la famille n’était plus dans le village et elles allaient être démontées. Pour y arriver, ils ont parrainé les tombes, ils les ont nettoyées et, pour finir, ont contacté certaines personnes qui avaient vécu dans le village pendant leur enfance pour les faire témoigner en classe. Sur base d’un petit bouquin que l’on a fait, ils ont rencontré d’autres générations et fait un travail citoyen intelligent qui a vraiment du sens. Ce sont des choses merveilleuses à vivre en tant qu’auteur.

Est-ce que vous vous êtes formé pour intervenir en classe ?

Non absolument pas. Il n’y a pas de raison de se former, il suffit de parler de ce que l’on connaît. Je ne suis pas enseignant. Le but n’est pas du tout de donner cours quand j’y vais. L’idée est plutôt de passer un moment ludo-éducatif avec les élèves, de leur transmettre de l’enthousiasme et de parler d’un métier, d’un parcours de vie. C’est intéressant pour les enfants car ils s’interrogent inévitablement sur leur avenir. Aussi, échanger sur un sujet comme la Seconde Guerre mondiale les impressionne car ils réalisent que c’est arrivé dans leur pays. Ça les touche parfois personnellement car certains ont encore un grand-parent en vie qui leur parle de ça et ont envie d’apporter un témoignage, des petites anecdotes familiales. Dans tous les cas, j’espère que je leur apporte un peu d’amusement en bousculant leurs habitudes le temps d’une séance de cours.

photo d'un jeune garçon avec sa main dans ses cheveux et bannière rose et rouge
© visuel du colloque

Plus concrètement, à quoi ressemblent vos interventions en classe ?

Cela dépend du nombre d'interventions dans la même journée, je n’ai pas envie de faire trois fois la même chose. De toute façon, je suis constamment dans l’improvisation, je n’ai pas de plan de conférence. J’aime bien être debout, j’aime bien utiliser l’humour, j’aime bien raconter des histoires avec des interruptions qui sont l'occasion de leur poser des questions. J’utilise quelques anecdotes de témoin que j’ai eu la chance de recueillir. Je projette des documents pour parler du dessin. Étant donné que je ne suis pas dessinateur, je ne peux pas faire d’atelier purement dessin. En projetant les travaux du dessinateur qui se déplace peu, j’ai l’occasion d’aborder le sujet de la Résistance tout en parlant de comment on fabrique une BD. Quelques fois, des petits ateliers s’improvisent. Il m’arrive par exemple de demander à la classe, après avoir expliqué le principe de l’ellipse entre deux images, d’en créer une en cinq minutes, pour vérifier s’ils ont bien compris les subtilités de ce concept très utilisé en BD. C’est amusant de voir à quel point les enfants comprennent très vite ce langage compliqué. Parfois, ce sont les enfants qui vous font un atelier, des dessins ou une petite pièce de théâtre. Je me souviens notamment d’un enseignant qui m’avait demandé en deux mots de quoi allait parler l’album suivant, quand je suis arrivé en classe ils avaient tous dessiné la couverture du futur album sur base de quelques éléments et avaient aussi écrit l’argumentaire que l’on trouve en quatrième de couverture. Chaque intervention est différente.

Comment êtes-vous sollicité pour intervenir dans les classes ?

Ça se fait un peu par le bouche-à-oreille. Ce n’est pas moi qui démarche. C’est via des rencontres, des gens viennent me voir en dédicace en demandant que j’intervienne dans leur école. En général, le projet se concrétise six mois ou un an après. Je suis aussi contacté via l’éditeur et mon attachée de presse. Je reçois aussi beaucoup de demandes par Messenger. Avec le temps, l’éditeur m’a confectionné une petite carte de visite que je donne spontanément quand je vois que quelqu’un pose beaucoup de questions pratiques. Je suis également invité sur des salons à faire une, deux, trois interventions, ce sont en général des salons du livre jeunesse. On a eu également la chance d’avoir des prix comme le Prix des Collégiens à Angoulême. Il est annoncé dans tous les collèges de France, et entraîne de facto certaines demandes. En France, ces interventions scolaires sont vraiment institutionnalisées depuis très longtemps, la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse clarifie tout. En Belgique, c’est plus récent avec notamment la création de l’opération « Bédéiste en classe » de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il y a aussi des choses qui se sont faites via le DOB, la cellule « Démocratie ou barbarie » qui dépend de la FWB. Si vous avez une bande dessinée mémorielle pas forcément liée à la Seconde Guerre mondiale, qui parle d’une minorité, du génocide du Rwanda par exemple, cela rentre dans le cadre du DOB.

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