Elya Verdal est une artiste pluridisciplinaire dont le parcours hors norme et richement éclectique façonne une écriture profondément singulière. Après une carrière dans l’industrie, elle opère une reconversion audacieuse, explorant la croisée des chemins entre psychothérapie, poésie et narration. Forte d’un bagage universitaire en littérature, arts plastiques et linguistique, Elya redéfinit l’érotisme en alliant le poétique et le politique, transformant l’intime en un médium puissant pour interroger notre rapport au monde et à nous-mêmes.
Depuis plus d’une décennie, elle déploie son écriture à travers des formats variés, de la lettre romantique à la prose fulgurante, en passant par des performances publiques captivantes. Engagée et résolument contemporaine, son art puise aussi bien dans des codes classiques qu’elle déconstruit à l’aune de thématiques actuelles comme le consentement ou l’agisme.
Avec une sensibilité unique pour les mots, nourrie par sa pratique de la Gestalt-thérapie, elle transcende les frontières entre les disciplines pour nous offrir une poésie vibrante, à la fois intime et universelle. Rencontre avec une femme de lettres et d’émotions.
Dans cette interview réalisée dans le cadre de l’initiative " Lisez-vous le belge ? ", une campagne coordonnée par le PILEn qui cherche à visibiliser le livre belge francophone, ses acteurs et ses actrices auprès du grand public, Elya nous ouvre les portes de son univers. Elle revient sur ses influences littéraires et philosophiques, et sa vision d’une écriture profondément ancrée dans l’intime. À travers ses réflexions sur la poésie, l’érotisme et l’engagement, Elya Verdal nous invite à redécouvrir le pouvoir des mots, à la fois comme outil de transformation personnelle et comme vecteur d’échange avec les autres.
Votre parcours allie littérature, arts plastiques, linguistique, puis psychothérapie et poésie. comment ces différentes disciplines s'enrichissent-elles mutuellement dans votre démarche artistique ?
" Tout se nourrit et se complète. J’aime l’idée que l’approche théorique et académique de mes apprentissages universitaires ont structuré mes récits, où l’expérience de qui je suis par mon histoire peut transcender mon travail d’autrice que ce soit en poésie ou en littérature globalement. La psychothérapie est venue après un parcours thérapeutique personnel, qui m’a permis de faire de mon vécu, une matière émotionnelle à vivre à travers l’écriture, comme un catharsis complémentaire. Aujourd’hui je pense que mes client.es me consultent aussi pour qui je suis dans ma vibration d’autrice, sensible au choix des mots, en mettant tout en oeuvre pour développer mon sens du mot juste. Je pratique la Gestalt thérapie, celle-ci nourrit l’importance de la vibration émotionnelle des mots, et je ressens ceci également dans la poésie, certainement quand elle est lue à voix haute. "
Votre approche de l'écriture semble s'inspirer de différentes formes poétiques. Comment définiriez-vous votre style ? Existe-t-il des influences ou des poètes qui vous ont particulièrement marquée au fil des ans ?
"Oui j’aime les anaphores, et la prose libre. Les figures de style sont utilisées pour donner de l’ampleur au rythme, à la sonorité des mots, et ça donne à la poésie une musicalité essentielle. S’adonner à une structure plus académique comme le sonnet est aussi un exercice qui permet de stimuler ma créativité, de l’attiser. J’aime l’idée d’être dans un cadre précis pour exciter l’imaginaire.
Ici pour L’amour en creux, le poème lyrique emprunte à une époque désuete, un caractère romantique, qui se prêtait je trouve au thème de la rencontre amoureuse.
J’aime le contraste entre le propos très actuel comme le consentement, ou l’agisme, et le style autant cru que classique. J’ai plutôt des références littéraires peu contemporaines, comme Apollinaire, Rilke, ou Anais Nin. La philosophie est aussi un genre littéraire qui m’inspire beaucoup, dans une certaine approche humaniste aux ramifications communes d’ailleurs avec la Gestalt. Dans la philsophie contemporaine, Claire Marin ou Camille Fodevaux-Metterie résonne dans mes inspirations."
Vous mentionnez que votre travail redéfinit l’érotisme à travers un geste poétique et politique. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce que cela implique et comment vous l’envisagez dans vos poèmes ?
"Merci pour cette question majeure dans mon travail. En effet, l’écriture qui est la mienne évolue dans le prisme de l’intime. Je considère que l’intime jusqu’au récit du corps dans sa sexualité, participe au vide béant dans la littérature et précisément dans la poésie, des vécus de femmes écrits et dits par des femmes. C’est un geste politique car la matière au fondement de ma littérature est celle de mon histoire de femme. Je suis politique car je mets aus service de mes mots, ma propre expérience personnelle. "
Dans vos oeuvres, il y a une forte tension entre la tradition poétique et une certaine déconstruction des codes établis. Comment parvenez-vous à équilibrer cette dualité entre modernité et classicisme dans vos écrits ?
"Oui cet équilibre se crée à la frontière ténue qu’est celle des contrastes, comme dans tout art ou même dans la vie ! En Gestalt thérapie on apprend aussi aux client.es à vivre avec les zones d’ombres ET de lumières. C’est un équilibre fragile qui demande un dosage subtil entre le cadre et l’élan fougeux que peut être l’écriture en fulgurance. Je fais référence dans la poésie à la pulsion de vie justement qui se manifeste par cette nuance fine que nous recherchons durant toute une existence, c’est à dire à réconcilier nos paradoxes. J’accepte donc au quotidien comme dans le travail d’écriture que mes opposés cohabitent."
Vous vous êtes aussi tournée vers la performance, avec des lectures poétiques comme celles que vous avez réalisées à l'Espace Magh plutôt à Bruxelles. Qu'apporte la dimension performative à votre travail écrit ? Est-ce un moyen d’aller au-delà de la page et d’entrer en contact direct avec votre public ?
"En effet la première fois, qu’il m’a été proposé de lire sur scène L’amour en creux, j’étais pleine de trac. Puis j’ai réalisé la puissance évocatrice de l’oralité en poésie.
D’ailleurs l’art du conte dans ma culture amazigh, est un art dans la splendeur de l’oralité. J’ai ressenti comme une évidence d’explorer les ressources de l’oralité. La possibilité de la respiration et du silence, la place de l’émotion ressentie avec le public font partie intégrante aujourd’hui de ma pratique poétique. Le partage sensationnel avec un public parfois en émoi, ou si touché car en larmes reste une expérience fondatrice dans mon parcours d’artiste. J’adore poursuivre d’ailleurs cette expérience sous une autre forme, qui est celle d’animer des soirées poétiques avec d’autres auteurices, ou en micro ouvert , à la Maison de la francité le 2ème ou 3ème mardi du mois pour la saison 2024-25. Information : www.maisondelafrancité.be"
Votre oeuvre s'étend aujourd'hui sur des supports variés, des réseaux sociaux à l'édition. Quel rôle jouent ces différents médiums dans la diffusion de votre poésie ? Y a-t-il une forme particulière que vous privilégiez pour exprimer certaines idées ?
"J’ai commencé à ressentir l’intérêt du partage de mes textes grâce au soutien des habitués de mes réseaux sociaux. J’ai utilisé notamment facebook depuis plus d’une décennie pour l’exercice rapide et créatif d’associer un tableau ou une photographie à une inspiration fulgurante au réveil, et la discipline de cette activité au moins bi-
hebdomadaire. Cela m’a permis de faire évoluer mon style, et de modeler mon goût du cru associé au sophistiqué. Et sur le fond de développer mon message sur le corps politique. En clair, les réseaux ont facilité une forme courte quand l’édition m’a mise au défi de transformer le modèle court en prolongeant l’idée, en lui donnant corps, et densité. Actuellement, je travaille sur une auto-fiction et j’aime la variété des genres, et la découverte que cela stimule dans mon apprentissage littéraire."
En tant que membre du comité de direction de la Fondation Blan à Bruxelles, vous êtes non seulement artiste mais également impliquée dans la gestion de projets culturels. Comment cette expérience vous a-t-elle influencée dans votre pratique artistique ?
"Etre en phase avec la création culturelle actuelle, les inspirations des artistes me permet d’être dans une dynamique d’inspiration active. J’aime que l’écriture soit en phase avec un monde en mouvement, d’autant plus que depuis ma prime jeunesse j'ai été très inspirée par les arts plastiques par exemple, ou la danse. Ca tombe bien car la Fondation blan privilégie dans sa raison d’être la transversalité entre différents médiums contemporains. Les couleurs, les images, le visuel ou les atmosphères sonores contribuent à mon imaginaire littéraire. La poésie notamment est pleine de saveurs, et d’odeurs. Je la vois à la hauteur de l’art culinaire, comme un plaisir gustatif."
Votre écriture semble profondément ancrée dans les réalités contemporaines. Comment réagissez-vous face aux défis du monde actuel, et en quoi votre poésie peut-elle apporter une forme de réponse ou de réflexion ?
"Je suis agie comme nous tous.tes par les rivalités humaines et les enjeux écologiques. Je considère les luttes actuelles comme cruciales, notamment celles qui se jouent pour la diversité, ou l’inclusion. La réponse pour moi devrait rester politique. La poésie est dans mon écriture, souvent un refuge je l’espère. Une bulle d’apaisement ou de douceur même si j’aime éveiller les consciences, sur la condition féminine notamment. La dualité toujours ... 9. Le passage de l'industrie à un univers plus créatif et psychothérapeutique peut être perçu comme un grand saut. Quels défis avez-vous rencontrés dans cette transition, et en quoi ce parcours atypique vous a-t-il enrichie en tant qu'artiste ? A dire vrai le passage de l’un à l’autre a été radical et brutal. Avec le recul pas forcément un choix total. Toutefois, une préparation était en cours, avec les études en Gestalt thérapie durant cinq années, et la pratique en cabinet progressive, qui a été de façon fluide, en plus d’être un lieu d’alignement possible pour mes client.es et moi-même, une possibilité d’en vivre. J’ai dû lacher de fortes croyances ancrées comme des vérités durant des décennies. Celles de devoir travailler dur, d’être performante et/ou productive, d’être ambitieuse et d’avoir des résultats à la hauteur des rêves de parents immigrés, qui ont vécu la souffrance d’un exil. J’ai préservé certaines des valeurs transmises, qui font le sujet d’écriture du récit en cours. Spoiler alert !
Aujourd’hui des leaders d’entreprise me consultent, et je suis bien à même de comprendre leur réalité d’entreprise. J’accueille aussi des salarié.es malmené.es par la pression exercée en entreprise, et cela me permet de réparer à moindre mesure ce que j’ai pu faire vivre avec cette distance nécessaire dans ma carrière, à mes équipes. La performance en entreprise use ! Et aujourd’hui m’en défaire est un travail lent, possible toutefois. Mes récits sont nourris aussi de ces réalités du monde du travail, ce qui me garde en phase avec mes lecteurs, en dehors de ma table d’écriture. "
Enfin, après plus d'une dizaine d’années de pratique, où vous situez-vous aujourd'hui dans votre parcours poétique ? Quels sont vos projets futurs, et comment voyez-vous l’évolution de votre oeuvre dans les années à venir ?
"Je vous confie en toute humilité, qu’après la publication chez Bleu d’Encre de L’amour en creux, j’ai ressenti comme un vide. C’est le cas de le dire. (Là où est mon vide est ta place, est le sous-titre). Effectivement, cet accouchement a été si heureux, lire le texte à quelques reprises sur scène (Espace Magh notamment) m’a mise en apnée de toute création poétique pure, sauf quelques petites exceptions. Puis j’ai réalisé que ce poème lyrique était un point de départ en édition, et j’ai très rapidement ressenti le besoin de prolonger l’aventure éditoriale par une auto-fiction avec des questions plus sociales, et cruciales pour ma quête identitaire au coeur de mon cheminement actuel. Etre transfuge social, puis être évincée du monde de l’industrie, quand on atteint son objectif, ça bouleverse beaucoup de principes. J’ai eu envie de m’interroger de façon intrinsèque sur mes valeurs, mon identité, et ce qui m’anime aujourd’hui. Bien entendu, la thérapie personnelle, et la pratique au quotidien bienveillante pour accompagner celleux qui me consultent, me poussent à plus de compréhension de qui je suis. J’espère finaliser cet écrit dans les prochains mois, et serais ravie de vous en faire la présentation prochainement à la MEDAA."