Que ce soit dans l'écriture d'œuvres théâtrales et romanesques ou dans la participation et l'animation de tables rondes, Geneviève Damas n’a de cesse de s’ouvrir à l’autre, d’être sensible à l’émergence des œuvres contemporaines et de vibrer au diapason de la différence. Embrasser une pensée plus large, plus complexe : telle est la devise de l'autrice, qu’elle a encore mise en pratique dernièrement lors d'une rencontre avec Adeline Dieudonné, organisée par le Festival Passa Porta 2021, sur leur vision du féminisme.
L'occasion pour la poétesse et chroniqueuse Charline Lambert de la rencontrer pour retracer son parcours et l’interroger sur la place qu'occupe les tables rondes dans sa carrière.
Geneviève Damas, écrivaine, comédienne et metteuse en scène déploie une œuvre théâtrale et romanesque remarquable, forte d’une vingtaine de pièces théâtrales (songeons à Molly à vélo, STIB, La solitude du mammouth), d’un recueil de nouvelles (Benny, Samy, Lulu et autres nouvelles) et de six romans, dont Si tu passes la rivière (éditions Luce Wilquin, 2011) qui a reçu, entre autres, le Prix Rossel 2011. Elle a par ailleurs fondé la compagnie théâtrale Albertine en 1998. Elle organise depuis 1999 les soirées littéraires et musicales « Portées-Portraits » principalement à la Maison Autrique, qui visent à mettre en lumière l’écriture contemporaine.
Régulièrement invitée à des tables rondes, que ce soit comme participante ou comme modératrice, ces moments sont pour Geneviève Damas l’occasion « d'approcher l'irréductibilité d'un univers, de se demander comment les auteurs et les autrices font, d'essayer d'entrer dans le mystère qui m’échappe » – donc de se mettre avant tout à l’écoute de la différence.
Loin d’être l’alibi à une hyper-valorisation de soi, pour l’autrice belge, les tables rondes sont un « espace où je suis amenée à m'interroger sur le processus de création ». Elle ajoute que « parfois, le regard des autres participants ou celui de l'animateur me donnent des clefs que je ne soupçonnais pas et me permettent de rebondir... » Chez Geneviève Damas, nulle trace d’une pensée « prête-à-discourir » ni d’un « opinionisme », selon les mots avec lesquels Johan Faerber caractérise certaines apparitions dans l’espace médiatique dans son essai Le Grand écrivain, cette névrose nationale (Pauvert, 2021). En effet, l’écrivaine, lors de ces tables rondes, ne se construit pas un personnage, elle n’endosse aucun rôle et ne se fait le chantre d’aucune pensée unique. Geneviève Damas est avant tout animée de l’intérêt qu’elle porte à l’autre, de « comprendre ce qui est en jeu ».
Embrasser une pensée plus large, plus complexe.
Exploratrice notamment des failles du langage, comme le dispositif esthétique de Si tu passes la rivière le révèle, où mutisme et parole tressent de sensibles fils, ou comme sa nouvelle pièce théâtrale intitulée Quand tu es revenu, je ne t’ai pas reconnu le sous-entend en explorant le mystère qu’est le couple, Geneviève Damas privilégie la recherche de la fluidité de la parole. Recherche qui, bien évidemment, est traversée par l’inattendu d’une question, par l’« angoisse du silence, du temps blanc » que l’autrice peut parfois éprouver lors des tables rondes. Geneviève Damas l’exprime avec sincérité : « Parfois on ne s'attend pas à une question et on répond d'une certaine manière, avec peu de recul et un peu après, parfois deux minutes, on embrasse soudain une pensée plus large, plus complexe, mais il est trop tard pour y revenir, il y a en général pas mal de frustration. »
Frustration personnelle parfois en tant qu’invitée, mais surtout et avant tout « joie » et « privilège » à questionner ou à écouter d’autres intervenants et intervenantes, à les mettre en valeur, dans le prolongement de son activité d’organisatrice des « Portées-Portraits ». En tant qu’animatrice, Geneviève Damas veille à « mettre en alerte et défendre des univers singuliers » en calibrant ses questions suivant des impératifs de timing et d’équilibre. Si elle est guidée avant tout par une sympathie à l’égard de ses invités et invitées, elle est également investie d’une responsabilité, sous-tendue par une volonté de poser des questions justes et pertinentes, des questions qui la « taraudent ».
Pour l’anecdote, en tant qu’invitée, elle se rappelle qu’un jour, elle s’est « retrouvée dans une table ronde qui entendait analyser la perversion au sein des œuvres des invités. J'ai été complètement désarçonnée, parce que la perversion me terrifie ». Loin de se fermer aux questions qui peuvent la décontenancer, elle favorise la voie de l’ouverture, de la réflexion et du dialogue, au départ d’un « pourquoi pas ? ».