Lylybeth Merle : "Le collectif est très important"

Publié le  29.04.2022

Avec la crise sanitaire, les appels à créer une société qui réhabilite le soin et le souci de l'autre se multiplient. Dans la foulée, la mise en évidence des secteurs qui favorisent la proximité et qui encouragent la solidarité se fait plus régulière. Parmi ces secteurs, il y a celui du théâtre. En apportant de la beauté, du réconfort et de la joie, en créant du lien, en questionnant en permanence les choses, en explorant les frontières et en faisant entrevoir la possibilité d’un monde meilleur, il participe à la bonne santé physique, mentale et sociale des gens. Concrètement, que faut-il entendre par « éthique du care » ? Comment ce concept est-il plus que jamais d'actualité dans le domaine théâtral ?

Venez prendre une cure de bien-être avec Bela, on vous emmène à la rencontre de compagnies théâtrales qui mettent le « soin » au cœur de leurs moyens de production et de création. Pour poursuivre cette série, Camille Crucifix a interviewé Lylybeth Merle. Cette artiste propose de l’intime sur scène, des créations qui déconstruisent les stéréotypes de genre, en s’inspirant de son propre vécu. Elle puise sa force de travail dans la résilience et la collaboration.

femme maquillée en costumée dansant un balancé sur scène
© Lylybeth Merle par Nicolas Talleux

Prendre soin… C’est parfois une injonction qui dépasse Lylybeth Merle et qui lui rappelle les conseils post-rupture : « prends soin de toi ». Pourtant, aussi vaste ce concept soit-il, il trouve sa place dans le processus créatif de cette comédienne, metteuse en scène, performeuse drag queer et consultante sur les thématiques de transidentités. Autant de cordes à son arc que d’outils dans son sac pour créer en collectif et dans la joie, quitte à chambouler tous les acquis.

« Je place le soin au cœur de la création. Ma démarche intègre des modèles de travail plus fluides et moins hiérarchiques. Le collectif est très important. Je ne suis pas seule, je suis la somme de ce que j’ai lu, appris et reçu. » Si Lylybeth Merle adopte ces méthodes, c’est notamment parce qu’elle vient du milieu queer : « Nous prenons soin, ce sont nos pratiques et nos outils. On y arrive pas toujours mais on fait attention à ce que nos espaces soient accueillants pour tous et toutes. L’entraide, l’écoute et le partage sont des valeurs qui nous émancipent des violences vécues. »

L’urgence de prendre soin

Elle milite pour la visibilité et les droits des corps LGBTQIA+ avec une résilience et une endurance à couper le souffle. Sur scène comme en coulisses. D’abord, en créant ses propres opportunités de jeux : « Il n’y a pas de rôle pour les personnes trans féminines non binaires qui portent une barbe. » Ensuite, en proposant ses services de consultance sur les transidentités. Lylybeth insiste : « Les personnes queer ont le droit de travailler avec les institutions théâtrales et culturelles sans y laisser leur santé mentale. »

Elle-même a vu son équilibre psychologique piquer vers le fond à cause de la transphobie et de l’enbyphobieDiscrimination envers les personnes non binaires. systémique. Elle s’en préserve comme elle peut, en transformant son vécu en numéros de cabaret, comme dans LILITH(s), et en ciblant ses impératifs : « J’ai besoin que les autres sachent que nous existons et comprennent nos réalités. » Dans le travail, elle souhaite « qu’on se parle, qu’on se rende compte collectivement de ce que vit chaque membre de l’équipe pour prendre soin  ̶ collectivement  ̶ les un.e.s des autres. J'ai besoin de travailler avec des équipes sensibilisées aux transidentités mais de m'éduquer moi aussi aux réalités différentes que vivent les autres membres. »

femme avec barbe qui se maquille devant un psyché sur scène
© Lylybeth Merle par Juliette Reip

Se reconnecter à soi

Lylybeth Merle retourne cette question à ses partenaires de création : de quoi as-tu besoin pour bien travailler ? Afin d’accompagner le processus, elle propose une routine : « Les journées commencent par une météo des émotions qui se déroule sans impératif de timing. Je travaille également avec des relaxations et des méditations pour se décharger du quotidien. Le fait qu’on dise que l’acteurice ne doit pas spécialement se sentir bien sur scène, je n’y crois pas du tout. Si la scène est douloureuse, ce n'est pas le bon endroit. »

Ces moments ouvrent sur des espaces de discussion collective. Une approche qui correspond à la mission de Lylybeth Merle : « Je me considère plus comme accoucheuse et tisseuse que metteuse en scène. Je mets en place des outils pour s’accoucher soi-même et, ensuite, je tisse les numéros. Je questionne cette place de la personne qui sait, qui dicte, qui domine… » 

Dès lors, en tant que meneuse de projet, elle encourage une vraie permissivité dans le travail. Elle se rappelle d’une résidence pour son spectacle Hippocampe : « Tous les membres de l’équipe, des producteurices aux acteurices ont partagé un texte sur un thème commun, qui a infusé en nous et lors de la création plateau, on ne pouvait plus savoir qui avait influencé qui. Ça encourage l’écriture collective et l’horizontalité, même si c’est important que chacun.e ait un rôle attitré. » Ces manières de créer collectivement ne connaissent pas de recette, que des remises en question et de l’inventivité.

Des frontières poreuses

La permissivité, elle se l’autorise également à elle-même. Diplômée de l’INSAS, elle a étudié dans des écoles de théâtre avant de se révéler dans le milieu artistique queer. « J’ai plus de dix ans derrière moi d’enseignement de "ce qu’est le théâtre". J’en connais les codes. J’ai de l’amour pour le théâtre et ses espaces comme moyens d’expression, mais je veux ramener les univers les uns dans les autres. » Une mission qu’elle mène haut la main en mélangeant les genres et les publics. Un peu de cabaret dans le théâtre et vice versa.

Et, surtout, du care. Véritable fil rouge permettant l’éclosion de l’intime et du poétique sur scène. « Je travaille beaucoup avec la vulnérabilité, c’est une puissance, c’est une force et c’est ça le courage. Le courage, c’est oser se montrer vulnérable. En osant dire, on fait sauter les tabous. On se rend compte qu’il existe des forces collectives autour de nous et qu’on est puissant.e.s tous et toutes ensemble. »

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