Grand angle : Dominique Roodthooft et Patrick Corillon, une rencontre
par Thomas Depryck dans le cadre du partenariat de BELA avec Grand Angle, le Salon d’artistes belges francophones des arts de la scène – Théâtre des Doms, Avignon, 16 & 17 juillet 2015.
Dominique Roodthooft et Patrick Corillon, une rencontre
Impossible d’évoquer Dominique Roodthooft et Patrick Corillon sans évoquer Le Corridor. Le Corridor, c’est avant tout un lieu, un lieu de vie et d’émulation, un écrin, un havre qui abrite non seulement le quotidien de Dominique et de Patrick, qui encadre leurs créations, mais c’est aussi un lieu de rencontre avec d’autres créateurs qui sont accueillis en résidence, en compagnonnage, et c’est encore un projet éditorial.
Si Dominique et Patrick se sont construits artistiquement ensemble, et qu’ils se complètent ou se contredisent, agissent l’un sur l’autre comme des catalyseurs, ils n’en ont pas moins des parcours et des façons de travailler très différents.
Dominique a les pieds bien ancrés dans le sol.
Arrivée au Conservatoire de Liège à 30 ans, elle a déjà un parcours professionnel derrière elle en tant qu’assistante sociale dans un centre PMS. Elle y a rencontré très vite et durant 7 ans des gens qui seront importants pour son parcours, fondateurs de sa pensée, notamment sur les questions de pédagogie et psychologie, mais aussi de la systémique, de l’analyse institutionnelle et de comment la situation peut transformer l’homme, etc. Elle y rencontre des militants qui pensent autrement la résistance que comme une prise de pouvoir, ce qui lui correspond. Au point de se sentir de plus en plus en porte à faux vis-à-vis de l’institution dans laquelle elle travaille. Déjà passionnée par les arts de la scène (elle en pratique en amateur), elle décide de se lancer dans l’aventure théâtrale. Elle n’abandonne pas pour autant ses premières amours, puisque son ancien parcours revient dans son travail d’aujourd’hui, dans les trois « Smatch » notamment, où elle a finalement trouvé sa façon de construire un propos qu’elle va partager avec un public. Le théâtre n’est pas son sujet. Elle ne sait pas ce qu’est le théâtre. Elle ne veut pas en parler. Elle s’intéresse à la scène, pour être en dialogue avec des gens qui écoutent, regardent et participent (du moins elle espère) à la construction de nouvelles situations. Dans les répétitions, c’est la façon dont le projet va se construire qui l’intéresse. Créer du début à la fin un endroit dans lequel au final chacun peut apporter son savoir, son point de vue, être lui-même, et contribuer à une pensée, un acte collectif.
Le processus l’intéresse plus que le résultat final.
Patrick, lui, appartient au monde des idées.
Il a étudié le latin et le grec et il a adoré. En sortant des études secondaires, il ne sait pas vraiment quoi faire alors il entame un cursus en langues et littératures romanes , le conservatoire et l’académie. Mais il abandonne tout parce qu’il ne se sent bien nulle part. Puis il s’oriente vers les arts plastiques. Il va à Paris, suit les cours des l’Institut des hautes études en arts plastiques. On leur demande de parler, pas forcément de faire de la pratique. Il y rencontre nombre d’artistes importants. Il travaille des années comme plasticien. Dans les installations qu’il réalise, il y a toujours une scénographie très forte, et il opère presque comme un metteur en scène qui pense à la façon dont le visiteur, le promeneur va découvrir le travail. Il a toujours écrit des histoires qui se greffent sur ses installations. Il a toujours aimé en parler. Il en vient petit à petit à inventer, à créer une façon de combiner les deux et de passer à l’art vivant (sans abandonner pour autant l’art plastique)
L’acquisition du lieu Le Corridor à Liège est déterminante pour tous les deux et verra le spectacle « Le diable abandonné » naître. La création ne fut pas forcément facile. Si Patrick travaille volontiers seul, Dominique, elle, travaille en équipe, sur le plateau. Entre eux, autant il y a accord sur le processus général, autant dans la pratique c’est plus compliqué. Il est vierge ascendant vierge avec un côté maniaque, et quand il va sur le plateau, il sait exactement ce qu’il va faire. Dominique construit les choses dans la réalité, lui pas, il est platonicien, elle aristotélicienne.
Mais ce qu’ils cherchent au Corridor, l’un comme l’autre, néanmoins, c’est la rencontre d’univers professionnels et artistiques différents. C’est que les gens, par exemple, parlent de leur métier, mais aussi de leur parcours, c’est-à-dire de la manière dont a évolué leur pratique, savoir de quoi ils se sont nourris. Avec au final, un tissage de liens entre gens curieux, passionnés qui partagent leur objet de travail, de pensée et de recherche tant avec les autres résidents qu’avec un public.
Le Corridor est une maison de création et de production, qui se veut la plus libre possible. C’est aussi un projet d’édition singulier. L’idée est d’accompagner un projet sous forme de livre, indépendant et complémentaire : ils veulent trouver des formes d’équivalence au projet. C’est un objet livre. Ce n’est pas une trace ou un catalogue, c’est une création en soi.
Le Corridor qu’incarnent Dominique Roodthooft et Patrick Corillon n’est pas un collectif ou une compagnie, c’est plutôt une sorte de caisse de résonance, un cadre de dialogue, qui explore différents projets, et accompagne des créateurs qui le souhaitent.
Repères
2004 Ouverture du Corridor
2007 Le Diable abandonné
2009 Smatch 1
2011 Smatch 2
Spectacles présentés à Grand Angle 2015
Cocon !
La maison vague
Smatch 3
photo de Dominique Roodhooft: © Dominique Houcmant/Goldo