L’Intime, festival adoubé par les auteurs et les autrices

Publié le  25.08.2023

Singulier, l’Intime Festival a rassemblé un public nombreux du 18 au 20 août à Namur. Et des artistes choisis avec soin, moins pour leur actualité que pour leurs approches de l’intime.

Photo : MV Gillard. 
 

Le ciel bleu règne sans partage sur le Théâtre de Namur. Le soleil chauffe à blanc la pierre de France. Août fait son raout. A l’intérieur, ombre et tiédeur convient à l’introspection. Au creux du théâtre, on vient partager l’intime. Les mots dits, les mots tus. Les phrases franches, les filigranes. Et des tessitures. Et des regards. L'Intime Festival bruisse de la force d’une parole murmurée qui s’infiltre jusqu’à des espaces parfois ignorés de nos cœurs. Le souffle de femmes exilées, la lucidité de la maladie mentale, les dessins inimaginables d’un enfant en souffrance, l’impossible repoussé par des Naurois lambda qui montent un spectacle minute, l’humour comme voile pudique posé sur la mise à nu… Une intimité foisonnante, tournoyante. Tour à tour chatoyante et alarmante. Toujours avec cette justesse qui vient toucher au commun de nos vécus humains.

Une relation de confiance

Par quelle magie l’Intime Festival réussit-il ce tour de force ? Ce tour de grâce, plutôt. Parmi les dizaines de raisons qui peuvent être invoquées, il y a sans conteste la fidélité à, et l'authenticité de sa thématique, l’intime. Et le doigté sans pareil qu’il faut pour atteindre ce difficile mélange de délicatesse et d’audace. Car l'intime nous bouscule toujours un petit peu. Ou beaucoup. D’où l’importance capitale, aussi, de la relation de confiance qui s’est tissée entre le public et le festival. Quels que soient l’auteur, l’autrice, l’artiste, l’exposition, le concert, si c’est programmé par l’Intime Festival, c’est que ça vaut le coup. De là naissent une attention profonde et une bienveillance dans le chef du public qui vient pour partager plutôt que pour se confronter.

Dimanche, à l’orée de la grande lecture de «La frontière des oubliés», notre voisine de gauche se tourne vers nous. «Vous êtes déjà venue ? Moi, je viens chaque année. Je case mes enfants [sic] et je suis là», confie-t-elle spontanément, les yeux brillants. Elle ne mentionne pas de conditions, pas de «s’il y a une comédienne que j’aime», «si un auteur que j’adore est là», pas de «s’il pleut» ni même de «si j’ai le temps». Elle vient. Nous n’échangerons pas plus puisque les lumières de la grande salle s’éteignent. Dominique Reymond entre en scène. Elle s’avance vers le pupitre, la scène est éclairée par quelques rayons d’un ocre tamisé, et sans préambule la comédienne porte en voix les mots de Aliyeh Ataei. L’écrivaine est dans la salle. Nous sommes toutes et tous dans ce ventre du théâtre, à recevoir le récit de ces femmes et hommes afghans, exilés, portant tous des traces de la guerre. A recevoir ces vécus, éloignés des nôtres au premier abord. Et qui, peu à peu, rejoignent des ressentis viscéraux que l'on connaît toutes et tous bien. L’amour, les choix, les contraintes… Pourquoi dans l’ombre de cette salle pleine, par l’entremise de cette lecture vivante, les mots ont-ils l’air plus pleins, plus épais ? Par quel enchantement avons-nous l’impression d’être plus réceptifs.ives, d’abandonner plus facilement nos armures que lorsqu’on lit seul.e ?

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Photo : MV Gillard. 
 

Un festival pointu et bienveillant

Pourquoi, quelques heures plus tard, et dans le registre radicalement différent de l’autodérision de Charly Delwart, le même effet se produit-il ? Cette sensation d’être au plus proche de l’autre, de saisir pleinement ce qu’exprime l’auteur, ce «mais oui, je vois très bien ce que tu veux dire». C’est la singularité, la vertu et le talent de l’Intime Festival. C’est ce qu’apprécie énormément Charly Delwart, invité pour la deuxième fois. «La caractéristique de l’Intime, c’est cette thématique très anglée et qui ne change pas d’année en année. Avec une programmation composite faite de livres qui vont paraître à la rentrée et de livres déjà parus depuis des mois. En fait, la thématique, le lieu, le public et l’équipe en font un super festival. C’est chaleureux, pointu avec un choix des textes fait à leur libre convenance, dans le respect de leur ligne, dégagé des contraintes de l’actualité», détaille l’auteur de «Que ferais-je à ma place ?» (Flammarion, août 2023).

L’écrivain belge installé à Paris est ravi du moment vécu. «C’est toujours étrange de parler pour la première fois de son livre [au moment du festival, il n’était pas encore paru, NDLR]. J’étais heureux de le faire là, avec un public bienveillant et dans ce festival dont j’adore la programmation et la façon de mettre en valeur la littérature. La forme de l’entretien en public permet d’avoir les réactions du public en direct, tout se passe dans le moment. C’est aussi se confronter à notre propre discours sur ce qu’on a fait. On découvre ses propres réponses aux questions et aux thématiques de notre livre. Tout ça est très joyeux, le public est là en nombre. Si on a quelques inquiétudes avant la sortie de notre livre, c’est rassurant», répercute-t-il, le timbre enthousiaste.

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© vbfb

Photo : MV Gillard. 
 

Un écrin où les auteurs et autrices sont mis.e.s en valeur

 

Le sentiment est de la même teneur pour Myriam Leroy. Il y avait une telle foule pour l’entretien avec l’écrivaine invitée pour son roman «Le mystère de la femme sans tête» (Seuil, janvier 2023), que tout le monde n’a pas pu entrer. Et les déceptions étaient palpables. «Ça m'a fait un plaisir immense qu’il y ait tant de monde, surtout pour un livre qui n’est plus tout neuf puisqu’il est sorti en janvier. Mais le festival a bien communiqué et sait mettre les auteurs en valeur. L’Intime Festival a une ligne éditoriale. Il ne fait pas la moisson de tous les auteurs qui ont été publiés dans l’année, il propose un parcours, pour son public, autour de thématiques. Ce n’est pas une foire, c’est un festival avec une colonne vertébrale et une cohérence», apprécie-t-elle.

Habituée du festival en tant que spectatrice, Myriam Leroy y était invitée en tant qu’autrice pour la première fois. Elle en est enchantée à tout point de vue.  Aux rencontres avec des lecteurs, avec des professionnels du livre, aux ventes – «car les gens achètent beaucoup à l’Intime Festival, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce type de manifestation» – s’ajoute une donnée. «Très platement, dit-elle, c’est très revigorant pour l’ego. Déjà d'être invitée car l’Intime ne programme pas des milliards de rencontres, donc ça procure presque un sentiment d’élection [rires]. On n’est pas là pour remplir les cases d’un line-up, on est vraiment mis en valeur. Et la sensation d’être considéré : l’accueil est extrêmement soigné, tout est fluide dans l’organisation, on est guidé. Ce n’est pas toujours le cas. Là, les auteurs sont véritablement accueillis, alors que le milieu littéraire met parfois l'estime de soi des auteurs à rude épreuve. Il n’y a pas que ça, bien sûr, on est parfois encensé, applaudi mais globalement c’est un écosystème où la sensibilité et l’ego des auteurs‧rices est malmené. Ici pas du tout, c’est un écrin. J’ai pris ma dose de vitamines pour passer l’automne !»

 

Et la pluie qui s’abat sur le pays depuis lors ne délavera pas ces sensations de partages sincères dérobés à la vacuité d’août.

 

Cécile Berthaud

 

 

L'Intime Festival

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