"Larguez les amarres" de Marie-Paule Kumps

Publié le  17.09.2021

Larguez les amarres est une tendre comédie ancrée dans notre actualité qui explore les rouages familiaux avec ses secrets et ses révélations.  Écrite en 2020, la pièce est jouée pour la première fois du 8 septembre au 3 octobre 2021 au Théâtre royale des Galeries à Bruxelles. 

Une occasion pour la dramaturge, comédienne et metteuse en scène Layla Nabulsi d'aller voir le spectacle et d'en décortiquer l'écriture, jusqu'à révéler quelques secrets de fabrication de Marie-Paule Kumps. 

femme brune passant sa main dans ses cheveux avec plantes au premier plan
© Marie-Paule Kumps par Christophe Vanderborght

Marie-Paule Kumps joue dans Larguez les amarres en compagnie de deux comédiennes et trois comédiens. Parité respectée. Il s’agit d’une comédie truffée de répétitions, rebondissements et quiproquos, comme c’est l’usage. Mais Marie-Paule propose aussi de déjouer certains clichés propres au vaudeville et au théâtre de boulevard, notamment le cliché du mari jaloux, celui de la femme fautive, clichés si chers à ces genres. Grâce à #Metoo et à cause du monde comme il va, c’est-à-dire pas très bien du point de vue de la place des femmes dans la société (vieille affaire), mais aussi du point de vue écologique et migratoire, le théâtre ne peut plus se « contenter » d’être un miroir du monde, mais pourrait, devrait, doit contribuer à la réflexion sur ce qu’il faudrait qu’il advienne pour éviter le pire.

Marie-Paule s’ingénie à se glisser dans la tradition en restant fidèle à elle-même, en y intégrant des sujets contemporains et des sujets plus personnels tout en proposant d’autres résolutions, en évitant même les fameux conflits censés faire le sel du genre. Le conflit comme sel, est-ce vraiment le condiment adéquat ? Si elle use de la technicité propre à la comédie – technicité presque intuitive intégrée à force de lecture et de pratique comme comédienne –, elle s’autorise ici à questionner le secret de famille de façon atypique, sans poser de jugement. Isabelle, personnage principale, découvre à 50 ans que son père biologique est un autre homme, qui plus est d’origine étrangère. À aucun moment, le personnage de la mère n’est jugé. Il est au contraire félicité, sans que le personnage du père-mari (mort) ne soit pour autant mis en cause. La mère a vécu sa vie comme elle voulait. L’époque et la culture ont voulu qu’elle ne puisse rien en dire, elle a donc menti sans affecter personne, et élevé ses enfants adultérins comme si de rien n’était. Parce que rien n’était. Elle n’était pas une propriété privée. Sous une façade bien gardée, elle était une femme libre.

Marie Paule s’est fixé un défi : écrire une comédie pour le Théâtre royal des Galeries, qui comprend 800 places et qui a besoin de la billetterie pour continuer à vivre. La nécessité de la réussite du projet relevait aussi de la loyauté vis-à-vis du lieu. Pas de synopsis au départ, mais une idée : une journée banale ponctuée par une annonce exceptionnelle, 6 personnages, 3 générations, des points de vue différents. Écrire en tissant plusieurs thèmes (filiation, migration) qui se rejoindront autour d’un sujet principal : les racines. Écrire pour ce public, réussir à le séduire, l’émouvoir tout en dérogeant un peu à ce qu’il a coutume de voir. Créer des personnages avec bienveillance, des personnages gentils et pas ennuyeux pour autant. La gentillesse comme valeur à défendre dans un genre où la drôlerie réside (souvent) dans le rire aux dépends des autres. Traiter de sujets qui l’animent aujourd’hui sans donner de leçon. Répartir les informations entre les personnages et faire en sorte qu’ils évoluent ensemble. Partager les dialogues de façon à maintenir le rythme, sans que l’un ou l’autre tienne davantage le crachoir, parce que dans la comédie, le rythme doit être soutenu. Dire ce qu’elle a à dire en partant et en riant d’elle-même sans s’autoriser à rire de l’autre. Faire en sorte que chaque personnage ait quelque chose à voir avec le sujet prééminent et que chacun d’entre eux soit émouvant à sa façon.

Marie-Paule a longtemps participé à la Ligue d'improvisation professionnelle Wallonie-Bruxelles. Dans sa pièce, elle rend hommage à Jean-Marc Cuvelier, qui y était coach, de l’avoir poussée à exploiter chaque situation, à être en permanence dans l’ici et maintenant. Cette discipline permet d’acquérir une solide notion du temps, de la construction dramaturgique d’une scène sur un sujet imposé, le Graal étant quand l’impro débouche sur une vraie fin. Si elle devait donner un conseil aux personnes qui voudraient se lancer dans l’écriture d’une comédie, ce serait d’en lire beaucoup, d’aller en voir au théâtre et au cinéma, de s’imprégner du rythme et des péripéties, de participer à des ateliers et de se confronter aux autres, à leur lecture et leurs précieuses critiques.

Souplesse et détermination comme sources de la création !

À découvrir aussi

  • Spectacle vivant
coeur fait avec des mains de toutes les couleurs

D’Ukraine et du monde entier : artistes réfugiés, culture solidaire

  • Chronique
A-t-il fallu la guerre en Ukraine pour réveiller les consciences et devenir solidaire à l'égard des artistes réfugiés? Non. La preuve avec le recensement réalisé par Maïté Warland de plusieurs pratiques nationales de solidarité culturelle.

Grand angle : Clément Thirion, en diffraction

  • Chronique
par Thomas Depryck dans le cadre du partenariat de BELA avec Grand Angle, le Salon d’artistes belges francophones des arts de la scène – Théâtre des Doms, Avignon, 16 & 17 juillet 2015.   Clément ...
  • Spectacle vivant
photo d'un document officiel

Aux Doms, Koulounisation et chiffres ronds

  • Chronique
Dans le cadre d'une fructueuse collaboration avec La Pointe autour du Festival d'Avignon 2022, Bela publie une critique du spectacle "Koulounisation" de Salim Djaferi sur fond de commémoration des 20 ans du théâtre des Doms.
  • Écrit

Présentation de l'étude sur les auteurs et autrices de livres en Fédération Wallonie-Bruxelles

  • Chronique
Le mercredi 18 janvier, Bela a présenté les résultats d’une étude sur la situation socio-économique des auteurs et autrices littéraires et de BD en Fédération Wallonie-Bruxelles!