Larguez les amarres est une tendre comédie ancrée dans notre actualité qui explore les rouages familiaux avec ses secrets et ses révélations. Écrite en 2020, la pièce est jouée pour la première fois du 8 septembre au 3 octobre 2021 au Théâtre royale des Galeries à Bruxelles.
Une occasion pour la dramaturge, comédienne et metteuse en scène Layla Nabulsi d'aller voir le spectacle et d'en décortiquer l'écriture, jusqu'à révéler quelques secrets de fabrication de Marie-Paule Kumps.
Marie-Paule Kumps joue dans Larguez les amarres en compagnie de deux comédiennes et trois comédiens. Parité respectée. Il s’agit d’une comédie truffée de répétitions, rebondissements et quiproquos, comme c’est l’usage. Mais Marie-Paule propose aussi de déjouer certains clichés propres au vaudeville et au théâtre de boulevard, notamment le cliché du mari jaloux, celui de la femme fautive, clichés si chers à ces genres. Grâce à #Metoo et à cause du monde comme il va, c’est-à-dire pas très bien du point de vue de la place des femmes dans la société (vieille affaire), mais aussi du point de vue écologique et migratoire, le théâtre ne peut plus se « contenter » d’être un miroir du monde, mais pourrait, devrait, doit contribuer à la réflexion sur ce qu’il faudrait qu’il advienne pour éviter le pire.
Marie-Paule s’ingénie à se glisser dans la tradition en restant fidèle à elle-même, en y intégrant des sujets contemporains et des sujets plus personnels tout en proposant d’autres résolutions, en évitant même les fameux conflits censés faire le sel du genre. Le conflit comme sel, est-ce vraiment le condiment adéquat ? Si elle use de la technicité propre à la comédie – technicité presque intuitive intégrée à force de lecture et de pratique comme comédienne –, elle s’autorise ici à questionner le secret de famille de façon atypique, sans poser de jugement. Isabelle, personnage principale, découvre à 50 ans que son père biologique est un autre homme, qui plus est d’origine étrangère. À aucun moment, le personnage de la mère n’est jugé. Il est au contraire félicité, sans que le personnage du père-mari (mort) ne soit pour autant mis en cause. La mère a vécu sa vie comme elle voulait. L’époque et la culture ont voulu qu’elle ne puisse rien en dire, elle a donc menti sans affecter personne, et élevé ses enfants adultérins comme si de rien n’était. Parce que rien n’était. Elle n’était pas une propriété privée. Sous une façade bien gardée, elle était une femme libre.
Marie Paule s’est fixé un défi : écrire une comédie pour le Théâtre royal des Galeries, qui comprend 800 places et qui a besoin de la billetterie pour continuer à vivre. La nécessité de la réussite du projet relevait aussi de la loyauté vis-à-vis du lieu. Pas de synopsis au départ, mais une idée : une journée banale ponctuée par une annonce exceptionnelle, 6 personnages, 3 générations, des points de vue différents. Écrire en tissant plusieurs thèmes (filiation, migration) qui se rejoindront autour d’un sujet principal : les racines. Écrire pour ce public, réussir à le séduire, l’émouvoir tout en dérogeant un peu à ce qu’il a coutume de voir. Créer des personnages avec bienveillance, des personnages gentils et pas ennuyeux pour autant. La gentillesse comme valeur à défendre dans un genre où la drôlerie réside (souvent) dans le rire aux dépends des autres. Traiter de sujets qui l’animent aujourd’hui sans donner de leçon. Répartir les informations entre les personnages et faire en sorte qu’ils évoluent ensemble. Partager les dialogues de façon à maintenir le rythme, sans que l’un ou l’autre tienne davantage le crachoir, parce que dans la comédie, le rythme doit être soutenu. Dire ce qu’elle a à dire en partant et en riant d’elle-même sans s’autoriser à rire de l’autre. Faire en sorte que chaque personnage ait quelque chose à voir avec le sujet prééminent et que chacun d’entre eux soit émouvant à sa façon.
Marie-Paule a longtemps participé à la Ligue d'improvisation professionnelle Wallonie-Bruxelles. Dans sa pièce, elle rend hommage à Jean-Marc Cuvelier, qui y était coach, de l’avoir poussée à exploiter chaque situation, à être en permanence dans l’ici et maintenant. Cette discipline permet d’acquérir une solide notion du temps, de la construction dramaturgique d’une scène sur un sujet imposé, le Graal étant quand l’impro débouche sur une vraie fin. Si elle devait donner un conseil aux personnes qui voudraient se lancer dans l’écriture d’une comédie, ce serait d’en lire beaucoup, d’aller en voir au théâtre et au cinéma, de s’imprégner du rythme et des péripéties, de participer à des ateliers et de se confronter aux autres, à leur lecture et leurs précieuses critiques.
Souplesse et détermination comme sources de la création !