Au Travail !
Parfois, on se dit que voler de sa plume, ce serait bien. Hé oui ! Ne devoir son salut, son pain, son toit qu' à la force de sa plume… Quelle belle indépendance ! C'est joli, c'est tentant. Rêvons un peu. (En effet, à défaut de pouvoir me rendre compte de l'effet que ça fait, je ne peux que rêver…) Allons-y donc, fermons les yeux, soyons l'espace d'un songe un écrivain qui travaille de sa plume, élevons-nous dans l'éther en quête de bonheur. Et pourtant il me suffit de m'y imaginer pour n'avoir qu'une seule envie : redescendre sur terre. C'est un peu comme une brûlure en fait. On est attiré, on touche et le muscle de l'aile, mû par un réflexe automatique, se rétracte aussitôt. J'en conviens : ce n'est pas très courageux. Foi de l'écrivain du dimanche que je suis. Mais il y a des raisons à cette lâcheté ! Croyez-moi ! La première (et peut-être la seule au fond, mais elle est de taille), c'est celle-ci : l'indépendance constitue une fameuse dépendance. Réfléchissez… vous qui partagez éphémèrement ce même rêve. Si vous voulez vraiment que ça rapporte - un peu beaucoup à la folie, c'est selon -, eh bien… il n'y a pas trente-six solutions : faut travailler, travailler et encore travailler. Et la plupart du temps sur des sujets de circonstance, des sujets imposés, comme dans une compétition de gymnastique ou de patinage artistique. Soyons clair : les œuvres de circonstance ont leur noblesse et leur raison d'être. Si elles n'existaient pas, des pans entiers de la littérature n'auraient jamais vu le jour. Ce que je conteste et qui m'effraie, c'est l'idée de devoir enchaîner les circonstances aux circonstances, de devoir m'obliger à avoir un rythme de travail trépidant mais tellement nécessaire pour voler. En tout cas pour ne pas se contenter de s'envoler - et de retomber trois centimètres plus loin aussi lourdaud qu'un émeu ou qu'une poule qui aurait oublié de pondre. Finalement, ce qui ne me plaît guère dans le travail, c'est l'idée, sans possibilité d'y surseoir, qu'il faut s'y mettre. Au travail. Bref, ce qui ne me convainc pas dans le travail, c'est le travail !