Autrice : Femme volante non identifiée – F.V.N.I
Lundi
Salle de spectacle à l'italienne. Petit groupe d'une quarantaine de spectateurs. Six acteurs en ligne à l'avant du plateau, un pupitre entre les jambes, deux filles, quatre garçons. Un petit tas de feuilles tremble sur chaque pupitre. Tout au bout de la cinquième rangée de spectateurs, une femme voudrait se faire minuscule derrière les pages tremblantes qu'elle a écrites. Grande excitation. L'heure qui va suivre elle s'accrochera à son siège, à son corps, le souffle retenu, suspendue aux mots qu'ils sont venus entendre pour la première fois. Elle mesure sa chance mélangée à sa peur mélangée à ses doutes mélangés à quelques pensées pour ses parents.
Autrice : Femme qui écrit. Comportement singulier lors de la première écoute d'un de ses textes : elle se réfugie quelques minutes aux toilettes pour gérer un corps tremblant dont les spasmes incontrôlables sont causés par un savant mélange d'euphorie libératrice, de joie profonde et d'insécurité abyssale.
Mardi
Autrice au volant. Feu rouge. Un enfant court sur le trottoir, neuf ans, la mallette au dos. Il est l'heure de la sortie des classes, il court, il rentre chez lui, il court pour arriver plus vite chez lui. Il faut noter ça, le noter dans la tête pour Victor. Victor c'est le petit nouveau, le petit nouveau de son petit nouveau texte. Les enfants courent après l'école pour rentrer chez eux, même si rien ne presse. Noter ça. Feu vert. L'autrice en ce moment essaye d'écrire un texte jeune public.
Autrice : Femme distraite au volant.
Mercredi
Un grand bureau face à la fenêtre. Vide. Idéal pour écrire. Un grand bureau vide.
Mais où est l'autrice qui vit ici ? On fait le tour de la maison. On la croise sur son lit, plat ventre ordinateur face, dans son bain, livre à la main, sur son lit - encore - (en petite culotte) ordinateur sur les cuisses, à l'angle du divan, les yeux dans le vague, sur les marches du jardin avec un bloc notes. L'autrice a une baleine dans la tête.
A quoi ça sert d'avoir un si beau grand bureau face à la fenêtre s'il est impossible de s'y asseoir ?
Autrice : Femme qui, pour écrire, délaisse le beau grand bureau face à la fenêtre.
Jeudi
Sauna, autrice nue, allongée, seule, eucalyptus. L'imagination circule, tous pores dilatés. Le grand bureau pleure sur son image d'Épinal, jaloux, il pleure son manque d'imagination.
Autrice : Femme capable de mettre en conflit un meuble de travail dont la mythologique n'est plus à faire et une petite cabane de bois finlandaise.
Vendredi
Une autrice se jette par la fenêtre et, telle une feuille de papier, légère, elle plane, plane, plane. Dans son vol, des mots tatouages s'écrivent sur son corps. Au sol, des badauds pointent du doigt l'autrice volante non identifiée. Le réveil sonne.
Autrice : Femme dont les rêves prennent des allures fantasques. Ces rêves d'ailleurs peuvent lui donner des idées pour la réalité.
Samedi
Soir d'orage. Tenter d'écrire. D'avancer. Coup de fil de sa grand-mère. Décroche, décroche pas ? Décroche ? Décroche. S'arrêter en plein milieu d'une phrase qui de toute façon n'emportait rien avec elle. Allo ? Ecouter de longues minutes. Regarder dehors l'orage qui se pointe. La table qui n'est pas débarrassée. Se demander quand, quand le plaisir d'écrire va revenir. Et : « J'ai épluché le journal et la gazette, je n'ai rien vu tu sais sur ton prix ? On n'en parle pas, c'est vrai cette histoire ? ».
Autrice : être humain de sexe féminin qui écrit, gagne des prix - au moins un - dont on parle dans le journal (ou la gazette ou du moins toute mini édition locale).
Dimanche
Vide. Une journée entière à traîner son corps d'autrice d'une pièce à l'autre de la maison. Elle porte deux textes, faux jumeaux. C'est long. Incapable de rester assise ou couchée avec son ordinateur ni avec un bloc de feuille. La machine à lessiver tourne à plein régime, la tête de l'autrice tourne à vide. Est-ce que l'une influencerait l'autre ?
Avez-vous remarqué que les autrices et les auteurs parlent beaucoup de lessive ?
Autrice : Femme dont l'activité cérébrale est inversement proportionnelle à celle de la machine à laver.