Ce qui reste des arbres
"Chacun peut voir à partir d'un seul qui a vu."
Leopardi
Il a banni le vert de sa peinture. S'est libéré de la contrainte de voir pour produire des images. Pourtant, avant d'atteindre à plus de quarante ans les formes géométriques composées de couleurs primaires qui allaient devenir sa marque de fabrique, Mondrian a peint des arbres. Des arbres qui seraient la première entaille dans le rapport au paysage, c'est-à-dire à l'extériorité du monde. Première ligne de découpage du réel qui en se développant recouvrirait l'entièreté de l'espace, tisserait une toile effaçant l'arrière du décor avant de devenir envers du décor, nervures de la vision. Départ de l'abstraction. Avant tout, il faut se rappeler ceci : le paysage aplati devient forme autonome. Il n'y a pas de représentation qui vaille. Souvenir de pieux enfoncés dans la mer le long de la côte hollandaise. Rencontre de la verticalité et de l'horizontalité qui ouvrirait un monde parallèle. Cette poétique des angles, il la retrouverait, la finaliserait, dans les deux grandes villes (Paris, New York) dont il ferait le siège de sa modernité. Nature morte, écrasée sous l'architecture et le jazz. Musique pour les yeux. Déambulation carrée, vagabondage dans les aléas de l'harmonie. Faute de mieux, l'artiste se doit lui-même d'inventer la structure du réel. Dès lors, chaque toile pourrait être un fragment d'un ensemble inconnu. Une œuvre monumentale subsisterait sous l'éclatement des jours. Ce qui reste des arbres : un support. L'œuvre s'effaçant dans l'œuvre.