Don Juan Addiction

Publié le  15.06.2013

Don Juan Addiction, première partie d'un diptyque… Une résidence d'écriture commence.

Je dois finir ce montage ! Absolument! Je n'y arrive pas, je tourne autour, bois un café, fume une cigarette, lis et relis toujours les mêmes textes, des images surgissent puis disparaissent.

Je voudrais faire un truc concret avec un début et une fin. Comme monter une armoire de chez Ikea ou faire le jardin. Savoir que c'est fini.

Comme ça doit être bon de savoir qu'on a terminé quelque chose. Se poser devant son œuvre et apprécier le travail fini !

En fait, non, je ne crois pas.

Je ne sais pas.

Je ne sais rien.

Sur les choses qui m'entourent, sur moi.

Ou si peu.

Est-ce qu'un jour, on sait vraiment qui on est, où on va, ce que l'on aura envie de manger demain. Le savoir serait une restriction, une décision prise pour ne pas perdre de temps. C'est épuisant parfois de perdre du temps. Comme lorsqu'on commence à cuisiner et qu'on a oublié d'acheter le dernier ingrédient indispensable. On se dit alors que quand même on est vraiment trop con, c'est pas si compliqué que ça de prendre le temps de se faire une liste !

Et pourtant, je perds du temps en rêves, cela m'est nécessaire.

Je ne peux pas me résoudre ni à une vie uniquement portée par l'instant ni à une vie organisée à la lettre. Comme je ne peux pas me résoudre à être juste mère, femme, épouse ou artiste. Et puis quelle prétention de dire : je suis une artiste.

Le problème du choix me poursuit. Si je me résous à choisir, j'ai l'impression d'un mur qui m'empêche de voir, de barbelés qui me poussent dans la gorge, d'une pression constante sur la poitrine.

Accepter de passer de l'un à l'autre, de jouer plusieurs rôles à la fois. Se laisser aller au présent même si on l'avait organisé tout autrement.

Oublier le temps qui passe et être surpris par ce qu'on y a gagné.

Perdre du temps ne veut rien dire, perdre de l'argent encore moins.

Repositionner son angle de vue, se taire quand on n'a plus rien à dire, écrire sans réfléchir, se relire et découvrir un nouveau sens aux mots, ne pas tout savoir avant, même si on réfléchit constamment, s'empêcher de réfléchir aussi, regarder, juste à côté, un peu de biais et voir que derrière une ombre, il y a une courbe qui sourit, une comète inattendue, un caillou qui brille juste un peu, sur son profil par accident.

Arrêter d'écrire et s'apercevoir que l'Autre a les yeux rouges. Il a peut-être trop pleuré avant de s'endormir. Moi, j'ai les yeux gonflés quand je pleure avant de m'endormir.

Et sur le papier, mon personnage aura les yeux rouges comme l'Autre aujourd'hui ou gonflés comme moi l'autre jour quand il m'a dit que j'étais un monstre, que c'était fini, qu'il ne pouvait plus me toucher, me sentir, me supporter, me renifler, me lécher, me caresser, me presser très fort contre son torse. Je ne veux pas être pressée de toute façon, je ne veux pas être une femme qu'on presse. Voilà ce que mon personnage féminin lui répondra. Nous ne voulons plus, nous les femmes, que toi parce que tu t'appelles Mister Don Juan tu nous vides de notre essence avant d'avoir pu exister un peu. Voilà ce qu'Anna, Isabelle, Thisbé, Zerline, Aminte, Elvire, Charlotte, Mathurine… Je ne sais pas comment elle s'appellera.

J'ai toujours eu du mal à choisir.

Quand on choisit, c'est pour la vie c'est-à-dire pour la mort, jusqu'à la mort.

C'est le nom qu'il y aura sur la première page, dans la distribution, la carte d'identité, l'épitaphe. Pour toujours. Peut-être à l'infini. Pour l'éternité. Pour des siècles et des siècles. Avec une photo ou pas.

Il y a aura des dates aussi. Moi, je ne connais pas encore la date de fin de ma prochaine pièce. Il faudrait que je termine une première mouture pour fin juillet. On me presse déjà, je sens un reflux qui me traverse le corps, il se balade de l'estomac à l'œsophage, de l'œsophage à la gorge… Peut-être bientôt j'en oublierai de manger. Cela me permettra de n'oublier aucun ingrédient.

Et puis avec quoi tu viens ? Don Juan ne vide personne, il révèle. C'est ce que j'ai lu ou on me l'a dit ou je l'ai entendu… Je ne sais plus. Il est trop tard. J'ai sommeil.

Tout se mélange, lui, moi, elles, Don Juan, la cuisine, mes rêves et le maillot à ne surtout pas oublier pour le prochain cours de piscine de la petite. Ah oui, la grande doit passer son examen de danse. Il faut que j'apprenne à faire un chignon. Elle doit porter un chignon très strict. Attention, si elle ne se présente pas coiffée de la sorte, elle pourrait perdre des points. Et moi, j'ai envie de taper mon poing sur la table et de mélanger toutes mes notes comme je mélange ma vie dans la fiction. On verra bien ce que ça donne. Je suis sûre que l'inconscient a encore des choses à me dire que je n'ai pas encore décelées dans le moindre petit caillou dans l'ombre qui ne peut même pas briller un tout tout petit peu.

Maman, je peux regarder la télé ? NOOOONNNNN

Et je tape mon poing sur…

Non, c'est juste de la fiction.

Peut-être.

A vous de choisir.

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