« Elles font des films »: l'intervention

Publié le  09.05.2018

Nous publions l'intervention que le collectif « Elles font des films » a faite au dernier bilan de la production, de la promotion et de la diffusion cinématographiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles le jeudi 22 mars 2018 au Théâtre Royal des Galeries: 

 

Les réalisatrices ne sont pas visibles et pourtant... elles existent! 
Le 10 juin 2017, le temps d'une photo, un collectif est né: "Elles font des films". "Elles font des films" regroupe aujourd'hui plus de 140 réalisatrices qui veulent se faire entendre. Notre credo: "L'égalité, c'est la parité. La parité, c'est l'égalité". 
Alors, "Où sont les femmes?" Toujours pas là!  répond l'étude exploratoire sur la place des femmes dans les métiers du cinéma en Belgique francophone, diligentée par Madame la Ministre Isabelle Simonis et publiée en 2016 avec le soutien de la Fédération-Wallonie Bruxelles. Malgré plusieurs efforts ponctuels et les impressions de réussite, les chiffres et analyses établissent un constat négatif sans appel. 

FORMATION: au-delà des écoles
Nous savons que tout commence à l'école, au niveau de la formation.
À la sortie des écoles de cinéma, la parité filles/garçons est relativement exemplaire depuis plusieurs années.
En revanche, dans le corps enseignant des deux grandes écoles de cinéma francophones IAD/INSAS... on est loin du compte. À l'Insas, seulement deux réalisatrices sur l'ensemble des professeurs de pratique réalisation. En image et en son, une seule femme. Et à l'IAD, la situation est identique.
Par ailleurs, dans les commissions et les jurys, on observe des situations inacceptables. À l'IAD, au jury de fin d'année 2017 qui était composé de 20 personnes, internes et externes, il y avait 18 hommes et seulement 2 femmes. 
Il est indispensable d'intégrer des femmes réalisatrices, autrices et techniciennes dans des écoles de cinéma publiques: dans le corps professoral, dans les commissions, dans les jurys, dans les savoirs. 

Nous savons que les mots et les modèles sont des références. 
Ils colonisent notre imaginaire, forgent notre esprit, nous projetent dans l'avenir. 
Une étudiante en Master racontait que, au sortir de 5 ans d'études d'une école de cinéma, ses camarades parvenaient difficilement à citer le nom de trois réalisatrices. Posez-vous la question maintenant: combien de femmes réalisatrices, productrices, scénaristes pouvez-vous citer?!
L'histoire des femmes est une histoire non-dite. 
De Alice Guy, qui a réalisé le premier film de fiction en 1896 "La fée au choux" et tourné plus de 600 films, mais qui a disparu des mémoires, à Chantal Akerman dont la reconnaissance en Belgique est loin d'être à la hauteur de son importance. 
Nous avons tellement intériorisé les schémas acquis que nous participons, toutes et tous, quasi naturellement, à la reproduction des inégalités. Il faut une prise de conscience et une démarche volontaire pour montrer aux étudiant-e-s des films de réalisatrices ou qui intègrent des personnages féminins principaux.
Cette année, pour la sélection du prix des lycéens du cinéma organisé par la FWB, qui concerne 7400 élèves et plus de 130 écoles, on peut lire sur le site Culture-Enseignement: "La sélection 2017-2018 offre un aperçu de notre cinéma contemporain dans toute sa diversité: elle allie drame et humour, profondeur et légèreté, réflexion et poésie dans un audacieux mélange des genres. Bon voyage en cinéma belge". Que propose-t-on? 5 films de... 5 hommes réalisateurs!
Combien d'années pour que "meilleur réalisateur" devienne "meilleure réalisation" aux Magritte du cinéma? 
Combien d'années pour que le mot auteur retrouve son féminin historique "autrice" dans le langage courant?

SUBVENTIONS: quelques chiffres et constat sans appel
Si elles sont 50% à la sortie des écoles, une fois dehors, elles disparaissent largement de l'industrie du cinéma. Le repérage des femmes et des hommes dans les métiers du cinéma conduit à ce constat : dans la réalisation, le scénario et la production, près de trois quarts sont des hommes. 
Ces chiffres corroborent des réalités observées dans d’autres pays et au plan européen. 

Chez nous, la répartition des financements publics conforte ces déséquilibres. Globalement, les femmes obtiennent seulement 29% du budget alloué par les instances publiques, contre 71% pour les hommes (sur 5 ans, 2010-2015).
On retrouve les réalisatrices dans les secteurs "pauvres": documentaire, court métrage, animation. Là où la rupture est nette, c'est au long métrage fiction aux budgets plus importants.
De 2010 à 2015: 100 productions longs métrages aidées par le Centre du cinéma ont été portées par des hommes et 25 par des femmes. Soit 20%. Du côté de Wallimage, depuis 2002, en 14 ans, sur 225 films, seulement 11,4% sont des films de réalisatrices.
Cette situation dans le cinéma ne fait que refléter une réalité générale dont nous écoutons le refrain depuis notre enfance: les hommes sont surreprésentés dans les instances dirigeantes et sont beaucoup mieux rémunérés que les femmes. En France, une étude du CNC en 2017 révèle une différence salariale de 42%. À la question "qu'est-ce qu'un film de femme?", l'étude répond: il se reconnaît économiquement: "c'est un film pauvre"!

CONCLUSIONS: actions et revendications
L'égalité homme/femme est inscrite dans la constitution, et la parité promue dans les instances de décision par les pouvoirs publics. Mais la législation ne suffit pas pour que la réalité change. 
Dans tous les cas, Madame la Ministre, nous parlons de fonds publics et d'une minorité de 51%!
Nous faisons des films, mais nous sommes aussi enseignantes, spectatrices, femmes et citoyennes. Les études révèlent que les femmes sont aujourd'hui les plus présentes dans les salles obscures. Il est temps qu'elles le soient à l'écran et derrière la caméra. Il est temps que cette majorité silencieuse ait enfin un cinéma qui la représente!
Le féminisme est un humanisme et cet objectif de parité est bénéfique pour toutes les femmes et tous les hommes qui veulent vivre ensemble. 
Nous le voyons, nous le savons, les comportements et les mentalités bougent. La situation a un peu évolué mais l'inégalité structurelle persiste.  
Il faut une politique volontariste. Comme pour la représentation politique: rappelons ce 11 juillet 2017 où la commission du Parlement wallon a fait adopter un texte à l'unanimité pour qu'il y ait au minimum 1/3 des femmes dans les collèges communaux et provinciaux (en tant qu'échevine, bourgmestre ou présidente de CPAS).

AILLEURS, des bonnes pratiques se mettent en place ces dernières années et donnent des résultats rapides. Ces actions concrètes font appel tant à l’initiative des milieux professionnels qu’aux pouvoirs publics largement présents, financièrement, dans l’industrie cinématographique. 
En Allemagne, l'association Pro Quote veille à l'équilibre paritaire dans les institutions culturelles et, à la Berlinale 2018, une charte de bonne conduite a été présentée par les 5 grandes écoles du pays. 

Au Canada en mars 2016, sous l'impulsion des réalisatrices équitables, l'Office National du Film s'est fixé un objectif pour 2019: que 50% de ses films soient réalisés par des femmes et que 50% du budget soit destiné aux réalisatrices. Téléfilm Canada lui a emboîté le pas avec des stratégies similaires: la parité hommes-femmes dans chacun des postes-clés de réalisateur, de scénariste et de producteur. 

En Suède...l'Institut du Film Suédois (SFI) a établi un "plan d'action égalité" sur 4 ans (2012-2016), et a atteint l'objectif de 50% d'hommes et de femmes dans les longs métrages de fiction. Il prône 5 mesures:
- Suivre le financement public de près dans les postes et attributions
- Enseigner le leadership aux femmes: via un programme de mentorat annuel: 5 femmes réalisatrices de films reconnues et 10 femmes se préparant à réaliser un deuxième long métrage. On leur apprend comment mener son projet de A à Z, comment négocier son salaire, comment naviguer dans le monde de la production. On retrouve la même action au Québec.
- Rendre les femmes visibles: il existe désormais un portail des femmes cinéastes originaires des pays nordiques. Anna Serner, responsable du SFI dit: "Nous avons investi environ 50 000 $US pour construire le site, le mettre à jour. Plus qu'une vitrine, c'est un outil de marketing.» 
- Questionner l'enseignement 
- Revoir les structures: pour identifier les biais invisibles et revoir les obstacles qui nuisent aux femmes.

Après L'Irlande qui, comme le Canada et la Suède, vient de mettre en place des quotas, après l'Espagne... la France montre l'exemple. Le 13 mars dernier, le Centre National du Cinéma a annoncé l'instauration de la parité "dans l'ensemble de ses commissions, dans les jurys des festivals et des écoles". Un observatoire "produira chaque année, des statistiques genrées sur la place des femmes, en termes d'emplois, de salaires, et dans les aides attribuées". Une étude sera réalisée sur le devenir des femmes diplômées et sera suivie par "la mise en place de dispositifs d'accompagnement appropriés". 

D'autres mesures suivront et les quotas sont également à l'ordre du jour pour arriver à la parité. Quotas, c'est-à-dire une série d'actions positives qui consiste en une politique du plan.

Ici comme ailleurs, les femmes du 7ème art s'entendent pour dire: "Quand l'application d'actions fortes est nécessaire, les quotas, qui ont déjà donné des résultats, constituent une étape inévitable pour vaincre les inégalités. N'en fut-il pas de même en politique ou pour les conseils d'administration des grandes entreprises? Certains diront que le seul critère de sélection doit être le talent. Cependant le talent n'est pas qu'un don reçu au berceau, mais également le fruit d'une éducation et d'une construction sociale dans lesquelles les femmes restent encore désavantagées par rapport aux hommes. À moyens égaux, le talent le sera aussi!" 
Madame la Ministre, vous avez commencé à mettre en place des actions concrètes mais nous vous demandons aujourd'hui de passer à la vitesse supérieure. Il faut des outils de compréhension et des mesures positives avec des objectifs chiffrés assortis d'échéances planifiées pour réduire la disparité et les inégalités manifestes dont les conséquences sont immenses dans notre vie quotidienne, réelle et imaginaire. 
Nous comptons sur votre volonté à garantir la parité dans le monde de la culture. La Belgique ne doit pas rester à la traîne de l'Europe. De nouvelles figures émergent qu'il s'agit d'accompagner, pour que les jeunes réalisatrices aillent au-delà de la sortie des écoles.
À travers cette prise de parole, nous souhaitons vous soutenir pour accompagner ce changement, ici et maintenant, avec vous Madame la Ministre, et avec l'ensemble des cadres publics afin de construire ensemble cette nouvelle histoire collective. 

Les membres signataires du collectif "Elles font des films":

Banu Akseki - Chantale Anciaux - Nathalie André - Yaël André - Olga Baillif - Kita Bauchet - Nadia Benzekri - Marta Bergman - Valérie Berteau - Loredana Bianconi - Karine Birgé - Milena Bochet - Eve Bonfanti - Alexia Bonta - Nathalie Borgers - Sophie Bruneau - Floriane Cardot - Sarah Carlot - Hélène Cattet - Céline Charlier - Ely Chevillot - Isabelle Christiaens - Solange Cicurel - Anne Closset - Marie-France Collard - Laurie Colson - Catherine Cosme - Manon Coubia - Véro Cratzborn - Vanja d’Alcantara - Caroline d'Hondt - Marie-Eve de Grave - Tatiana de Perlinghi - Karine de Villers - Violaine de Villers - Jen Debauche - Savina Dellicour - Rose Denis - Edith Depaule - Célia Dessardo - Frédérique Devillez - Isabelle Dierckx - Géraldine Doignon - Martine Doyen - Sandrine Dryvers - Françoise Dupal - Charlotte Dupont - Guldem Durmaz - Anne-Marie Etienne - Sandra Fassio - Beatriz Flores Silva - Camille Fontenier - Annick Ghijzelings - Khristine Gillard - Virginie Gourmel - Charlotte Grégoire - Joanna Grudzinska - Christine Grulois -Marion Hansel - Clémence Hebert - Sarah Hirtt - Eva Houdova - Sarah-Moon Howe - Michèle Jacob - Véronique Jadin - Marie-Jo Jamar - Mary Jimenez - Charlotte Joulia - Maria Karaguiozova - Yasmine Kassari - Safia Kessas - Alice Khol - Juliette Klinke - Jasna Krajinovic - Hadja Lahbib - Marianne Lambert - Rachel Lang - Dominique Laroche - Axelle Le Dauphin - Anne Leclercq - Kadija Leclere - Rachel Lecomte - Delphine Lehericey - Elodie Lélu - Annick Leroy - Vania Leturcq - Françoise Levie - Anne Lévy-Morelle - Bénédicte Liénard - Elisabet Llado - Dominique Loreau - Chloé Malcotti - Marie Mandy - Monique Marnette - Isabelle Martin - Marie-Hélène Massin - Monique Mbeka Phoba - Bérangère McNeese - Ursula Meier - Ellen Meiresonne - Geneviève Mersch - Alice Moons - Camille Mol - Catherine Montondo - Anne-Lise Morin - Oranne Mounition - Valérie Muzzi - Emmanuelle Nicot - Delphine Noels - Tulin Ozdemir - Nicole Palo - Sonia Pastecchia - Marie-Françoise Plissart - Monique Quintart - Inès Rabadan - Isabelle Rey - Salomé Richard - Sonia Ringoot - Pauline Roque - Zlatina Rousseva - Déborah Ruffato - Isabelle Schapira - Anne Schiltz - Sophie Schoukens - Ann Sirot - Paola Stévenne - Caroline Tambour - Aya Tanaka - Maria Tarantino - Nina Toussaint - Milena Trivier - Amélie Van Elmbt - Valérie Vanhoutvinck - Marie Vella - Aude Verbiguié - Marie Vermeiren - Laura Wandel - Marylin Watelet - Lydie Wissaupt-Claudel - Françoise Wolff - Soa Yoon

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