Un tour au supermarché

Publié le  14.07.2010

Maman dit l'avenir rien qu'en ouvrant la porte du frigo. Elle gribouille son petit poème sur un bout de papier récupéré ici ou là. C'est la  gardienne du temple, celle qui ajoute à l'utile ce qui fera plaisir à Pierre, Paul ou Jacqueline. Des produits pour une vie saine et la bonne marche du ménage. Ainsi, maman prédit le menu du dîner, et même celui du souper ou du petit-déjeuner. C'est l'inspiration qui la guide, et les fruits de saison, et l'action spéciale prix barrés sur les cannelloni : trois sachets pour le prix de deux,  plus un drapeau italien, quelques grammes de  fromage râpé, un bon d'achat sur la sauce rosso piccante.

La liste des commissions dresse le poème du quotidien, un poème qui fait dans la promo du jour et la date de péremption.

L'homme est un poète à qui le dentifrice fait les dents blanches.

Et la poétesse? Convertie en animatrice, le verbe démoulé par le frêle auditoire, elle donne à goûter, au détour d'une allée, une pipe de saucisse ou un carré de brioche. 

A ce stade de l'évolution naturelle, le destin divise l'humanité en deux files.

D'une part, les tenants de la forme fixe suivent l'ordre établi par le pense-bête, couvrant les allées sans dévier, fût-ce d'un iota; de l'autre, le goût de la liberté, peut-être de l'indépendance, voire du romanesque détourne le caddy vers l'imprévu, la grande aventure - laquelle prend l'apparence, non de la préposée aux fromages mais d'une dinde au rabais ou d'un surgelé en surcharge pondérale.

Au bout du compte, les chiffres s'ajoutent aux chiffres, et l'écart de conduite mène au péché de consommation : c'est la chienlit, les reproches du mari, le guet-apens des bouchons, les escarmouches devant l'étagère à provisions qui déborde comme un ventre de Luxembourgeois.

A quoi tient donc le cours d'une existence ? Au strict respect de la liste des courses.

Point de misère au portefeuille pour l'homme qui peut s'en tenir à ce que sa femme a prévu pour lui. A condition que maman sache l'orthographe comme une institutrice. Qu'elle use de clarté dans le déroulé de son écriture - car la frite n'est pas la fraise ni la fraise la frisée aux lardons.

Qu'elle évite aussi l'imprécision ou le lapsus - car la purée de patates est à la purée de  tomates ce que la Basse-Saxe est à la Sardaigne, surtout en été.

Qu'elle dresse sa liste dans l'ordre des rayons, depuis l'entrée en scène jusqu'à la caisse, en sorte que les courses se déroulent comme sur une autoroute, conformément aux prévisions de la mère de famille, avec le menu vol-au-vent si les enfants ont été gentils.

Quant à la liste des courses, à la poubelle, comme un poète sans sa lectrice.

À découvrir aussi

L’âpre grandeur des Solidarités mystérieuses

  • Fiction
Les grands livres arrivent souvent à bas bruit. S'ils transportent leurs lecteurs là où ceux-ci ne s'attendent absolument pas à être menés, ils sont loin de se donner tout de suite pour autant. Parfoi...
  • Écrit
femme blonde floue

Loheré : texte poético-théâtral d'Amandine Laval

  • Fiction
Pour la série érotique du Belazine estival, Amandine Laval propose un texte sensoriel parlant d'été pastoral, de la torpeur du temps qui passe, de l'amour que l'on sent très fort.

Raoul Raoul

  • Fiction
 

L'été (comme on a dit)

  • Fiction
parfois, il ne se passe rien.